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jeudi 8 décembre 2016

CRITIQUE DEBAT REFLEXION la question complexe des causes et conséqences debattus l'exemple de l'avortement

article : Conséquences psychologiques de l’avortement : qui dit vrai ?
06/12/2016 www.lesinrocks.com*
Capture d'écran blog.jevaisbienmerci.net

Argument récurrent des militants anti-IVG, le syndrome post-avortement n’existe pas, selon la science. Plusieurs études décrivent à l’inverse des troubles psychiques (anxiété, dépression…) présents avant l’avortement et qui s’estompent rapidement une fois l’acte réalisé.

Avorter nuit-il vraiment à la santé mentale ? L’existence d’un syndrome post-avortement, sorte de syndrome de stress post-traumatique qui se traduirait par des troubles psychiques de long terme chez les femmes ayant avorté, est un argument récurrent des militants anti-IVG.
Samedi 3 décembre, Eugénie Bastié, journaliste au Figaro et auteur d’Adieu mademoiselle, s’est fendue d’un tweet dénonçant un “mensonge” d’État sur les conséquences psychologiques d’une IVG. Dans une interview récente, l’essayiste qui se définit comme “pro-choix” déclarait : “Je ne remets pas en cause la loi Veil. Je critique le fait que lorsqu’une femme veut avorter, à aucun moment on ne lui propose d’autre option. Le planning familial n’est pas objectif. Il considère l’avortement comme un droit incompressible, immuable et sacré. Pour moi l’avortement est une mesure de santé publique, pas un droit.”
Son tweet compare le discours tenu par Philippe Faucher, gynécologue-obstétricien à l’Hôpital Trousseau sur le site ivg.gouv.fr et celui du professeur Israël Nisand, spécialiste reconnu de l’avortement, dans une interview au Figaro. Le docteur Faucher affirme : “Il n’y a pas de syndrome post-traumatique qui persisterait à distance, plusieurs années après un avortement. Maintenant, au moment de l’IVG, c’est sûr que ce n’est pas un moment très agréable à passer.
À l’inverse, Israël Nisand, auteur d’un rapport sur l’IVG en 1999, se montre plus mesuré : “Il n’est pas politiquement correct de dire qu’il peut y avoir des troubles psychiques ou des regrets en aval d’une IVG. C’est un phénomène sur lequel on manque d’études scientifiques mais, sur le terrain, en consultation, on voit bien que cela existe. (…) Le négationnisme des troubles qui peuvent survenir à la suite d’une IVG ne sert pas la cause des femmes.”
Un argument récurrent
Le débat revient quelques jours après l’adoption par l’Assemblée nationale, le 1er décembre, d’une proposition de loi sur l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse aux sites internet coupables de “désinformation” sur le sujet. Sur ces sites, la question des conséquences psychiques de l’avortement est un argument récurrent, exploité pour faire culpabiliser et douter les femmes souhaitant avorter. Le site pro-vie ivg.net affirme notamment que “65 % des femmes ont des symptômes de troubles post-traumatiques“. “La dépression, le suicide, le retrait relationnel, la perte de l’estime de soi, le sentiment aigu de culpabilité, de honte de soi, d’échec de sa maternité : voilà les risques auxquels s’exposent les personnes qui décident d’un avortement“, poursuit le site.
Capture d'écran, ivg.net
Le site pro-vie ivg.net exploite l’argument des conséquences psychologiques pour culpabiliser et faire douter les femmes. (Capture d’écran, ivg.net)

Mais qu’en est-il en réalité ? Contrairement à ce qu’affirment les anti-avortement, il n’existe pas, selon la science, de syndrome post-IVG à proprement parler. Plusieurs études, compilant les recherches réalisées depuis trente ans, décrivent à l’inverse des troubles psychiques (anxiété, dépression…) présents avant l’avortement et qui s’estompent rapidement une fois l’acte réalisé.
80 % des femmes soulagées après un avortement
C’est la conclusion du gynécologue-obstétricien Francesco Bianchi-Demicheli dans la Revue médicale suisse en 2007. Selon le chercheur, l’idée de l’existence d’un syndrome post-avortement est née dans les années 1980. “Dans les sociétés anciennes, l’avortement était largement pratiqué et ceci ne constituait généralement pas un problème social“, explique Francesco Bianchi-Demicheli en préambule de son étude. Il rappelle aussi que la grossesse comporte un risque bien supérieur de manifestations psychopathologiques que l’avortement.
L’anxiété, symptôme principal de l’avortement selon plusieurs recherches, est ressentie surtout avant l’interruption de grossesse. Elle diminue dans les semaines suivant l’acte et trois mois après, près de 80 % par les femmes se sentent soulagées.
Créé en 2011, le blog jevaisbienmerci.net proclame que "l’avortement est notre liberté et non un drame". (Capture d'écran / Planning familial)
Créé en 2011, le blog jevaisbienmerci.net proclame que “l’avortement est notre liberté et non un drame”. (Capture d’écran, ivg.planningfamilial.org)

Pour autant, il peut exister des conséquences psychiques négatives à une IVG. Chaque cas est particulier, comme le concède Israël Nisand dans une interview à Elle : “On peut s’en sortir fort bien et ne pas avoir de séquelles psychologiques, on peut aussi ‘bigner’ sévère, surtout quand on est seule, quand on ne le dit pas à ses parents et que le gars est loin.” Selon certaines études, 10% des femmes souffrent de dépression et d’anxiété après avortement, nécessitant parfois une intervention psychiatrique.
Le bien-être préexistant détermine le bien-être post-avortement
Mais la diversité des expériences, traumatiques ou non, d’avortement tient en fait beaucoup à l’histoire personnelle de chaque femme. L’Association américaine de psychologie (APA) explique ainsi qu’aucune preuve scientifique ne permet de conclure qu’une mauvaise santé mentale chez une femme ayant subi un ou plusieurs avortements puisse être imputé à l’IVG en elle-même.
“Les facteurs déterminants pour l’évolution psychique des femmes après IG [interruption de grossesse, NDLR] seraient la santé psychique des femmes avant l’IG et les circonstances de l’intervention. (…) Le bien-être préexistant déterminerait donc le bien-être post-IG”, résume Francesco Bianchi-Demicheli.
Pour preuve : l’APA a relevé qu’en cas de grossesse non désirée, autant de femmes ont rencontré des problèmes psychologiques parmi celles qui avortent que parmi celles qui gardent l’enfant. Et la fréquence de troubles psychiques n’est pas supérieure chez les femmes ayant subi un seul avortement que chez les femmes qui n’en ont subi aucun. Ce sont donc chez les femmes ayant avorté plusieurs fois qu’il y a plus de risques de troubles psychologiques. Ces problèmes trouvent vraisemblablement leur origine dans leur histoire personnelle plutôt que dans l’avortement.
En 2015, un documentaire d’Arte dénonçait la loi du silence qui entoure l’avortement. À travers le témoignage de quatre Allemandes, la réalisatrice Renate Günther Greene, qui a avorté à l’âge de 25 ans, évoque le parcours post-avortement, entre sérénité et culpabilité.
Des troubles très rares à long terme
Les militants anti-IVG avancent souvent l’argument d’un traumatisme à long terme : le trouble ressortirait plusieurs années, voire plusieurs décennies plus tard. Une idée battue en brèche par une étude scientifique de 2000. Deux ans après un avortement, seules 1% des femmes interrogées présentent des signes d’état de stress post-traumatique.
Sur les centaines d’études recensées sur le sujet, les écarts de résultats, parfois considérables, alimentent le discours pro-vie. Mais quand la qualité de la recherche est évaluée, le résultat est sans appel. “Une tendance claire émerge de l’examen méthodique [des recherches] : les résultats des études les plus sérieuses sont neutres, indiquant peu ou pas de différences entre les femmes ayant avorté et les groupes test en terme de séquelles sur la santé mentale, démontrait un article scientifique paru en 2008 dans la revue Contraception. Inversement, les études dont la méthodologie présente le plus de défauts ont conclu à des séquelles négatives de l’avortement sur la santé mentale“.