Migrants Les mineurs non accompagnés plus vulnérables face au suicide
Vendredi 18 novembre 2016 Sophie Dupont www.lecourrier.ch*
«Chez l’adolescent, la tentative de suicide est plus souvent mue par l’envie d’échapper aux souffrances que par un réel désir de mourir», relève Philippe Stephan.
ARC/ JEAN-BERNARD SIEBER
Le pédopsychiatre Philippe Stephan revient sur les tentatives de suicide de mineurs non accompagnés, ces dernière semaines à Lausanne.
Sept adolescents ont tenté de mettre fin à leurs jours dans un foyer de migrants mineurs non accompagnés à Lausanne ces dernières semaines. Les enfants, arrivés sans parents en Suisse, sont aujourd’hui cinq fois plus nombreux dans le canton qu’il y a deux ans et quatre nouveaux foyers ont ouvert depuis août 2015. Selon une enquête de 24 heures, l’encadrement est insuffisant et le personnel est débordé, voire épuisé.
Les mineurs non accompagnés qui présentent des problèmes psychiques sont suivis par le Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA) du CHUV. Le pédopsychiatre Philippe Stephan, médecin chef à l’Hôpital de l’enfance, livre son analyse sur les récents événements.
Comment interpréter ces tentatives de suicide dans un même foyer?
Philippe Stephan: Lorsqu’elle concerne des adolescents, cette problématique est très spécifique et complexe. Il y a notamment un phénomène de contagion, qu’on retrouve dans d’autres comportements, comme les scarifications. Ces gestes sont à la fois une attaque du monde des adultes – pas assez rassurants ou pas assez présents – et une violence contre soi. Ce mal-être se partage dans un esprit de communauté. Les autres jeunes se reconnaissent dans le geste et se disent que si l’un des leurs a trouvé cette solution, ils peuvent aussi le faire.
C’est un appel à l’aide?
C’est un moyen de calmer un débordement psychique, ou émotionnel si vous voulez. Chez l’adolescent, la tentative de suicide est plus souvent mue par l’envie d’échapper aux souffrances qu’un réel désir de mourir. Dans le cas d’un mineur non accompagné, les causes du débordement sont particulières.
Pourquoi les mineurs non accompagnés sont-ils particulièrement vulnérables?
Ils cumulent plusieurs facteurs: les préoccupations de l’adolescence, l’absence de cadre familial, les traumatismes liés à leur parcours migratoire, et les difficultés dues à leur statut de migrant. Le jeune se retrouve dans un tourbillon de pensées. Il veut à la fois garder ses racines tout en étant dans un mouvement d’émancipation vis-à-vis de ses parents. Mais comme ils sont absents, il va se tourner vers les éducateurs pour une confrontation, nécessaire pour un adolescent, à l’adulte. Il se trouve alors face à quelqu’un dont il ne connaît rien et qui est en plus issu d’une culture qu’il ne maîtrise pas. Ce sont des rencontres prenantes sur le plan psychique, qui peuvent mener à des débordements.
Il y a aussi un décalage entre leurs attentes et la réalité du système de l’asile en Suisse...
Déjà dans leur pays d’origine, on leur fait croire qu’ils vont aller dans un endroit extraordinaire. Et le parcours est souvent terrible, avec de l’angoisse, des maltraitances, des conditions très précaires. Les adolescents qui arrivent enfin pensent qu’ils seront récompensés de tous leurs efforts. Mais comme ce n’est pas le cas, certains entreront dans une forme de rébellion.
De quoi ont-ils besoin pour éviter des débordements?
Ils ont besoin d’être encadrés par des adultes bienveillants. Et c’est généralement le cas. Les éducateurs qui travaillent dans les foyers sont à l’écoute et généreux. Encore faut-il qu’ils soient en nombre suffisant. Les éducateurs jouent le rôle de passeurs entre les jeunes et la société dans laquelle ils vont évoluer.
Quelle prise en charge médicale proposez-vous?
Ce n’est pas parce qu’un adolescent a fait une tentative de suicide qu’il va être pris en charge sur le long terme. Un débordement n’implique pas forcément une souffrance psychique organisée. Un bon soutien éducatif peut tout à fait apaiser les choses.
Ils souffrent pourtant aussi de traumatismes liés à leur parcours...
Oui, mais dans la plupart des cas, on ne va pas pouvoir en parler tout de suite. Si on s’aventure à aborder ce qu’ils ont vécu, on risque d’augmenter le débordement psychique. Ils doivent déjà affronter le quotidien, aller à l’école, gérer leur vie d’adolescent, supporter l’éducateur. La question pourra être évoquée une fois que le jeune aura trouvé une sécurité. Sauf dans le cas où il souffre d’un symptôme post-traumatique. Là, nous en repérons les signes et nous le traitons immédiatement.
Une permanence à l’Hôpital de l’Enfance
Les requérants d’asile mineurs qui ont besoin d’un suivi psychiatrique sont reçus en traitement ambulatoire par le Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (SUPEA), comme tout autre patient. «Mais la consultation ambulatoire, qui se fait sur rendez-vous, ne répond pas toujours aux demandes des migrants qui ont plutôt l’habitude d’être traités en urgence», note le pédopsychiatre Philippe Stephan.
Fort de ce constat, le SUPEA est sur le point de mettre en place avec les pédiatres de l’Hôpital de l’enfance une permanence qui englobera les soins psychiatriques et somatiques. L’objectif est de garder les enfants et adolescents dans un réseau de soins, sans les contraintes liées à des consultations régulières. SDT
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