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mardi 18 octobre 2016

Film d'animation Ma vie de courgette : au plus profond des yeux de l'enfance

Ma vie de courgette : au plus profond des yeux de l'enfance

par Fabien Lemercier cineuropa.org*
- CANNES 2016 : Avec un film d'animation en stop-motion délicat, émouvant, original et positif sur l'enfance maltraitée, Claude Barras signe un premier long accompli
Critique
"On est tous pareils, il n'y a plus personne pour nous aimer." Au foyer des Fontaines vivent sept enfants d'une dizaine d'années : les très attachants protagonistes de l'étonnant Ma vie de courgette [+] du Suisse Claude Barras, un premier long métrage d'animation remarquable, (autant sur le fond que sur la forme), dévoilé à la Quinzaine des Réalisateurs du 69e Festival de Cannes.

Le paisible Courgette, de son vrai nom Icare, n'a jamais connu son père et il débarque aux Fontaines, son cerf-volant sous le bras, après avoir tué par accident sa mère, une femme à l'alcool agressif. Dans le foyer niché hors de la ville, il apprend à connaître ses compagnons d'infortune. Les parents de Simon se droguaient tout le temps, le père d'Ahmed est en prison après un hold-up dans une station-service, la mère de Jujube avait atteint un stade très avancé de délires maniaco-dépressifs, celle Béa a été expulsée vers l'Afrique, et Alice cauchemarde encore des "trucs dégueulasses" commis par son père. Quant à la jolie Camille, dont Courgette tombe instantanément sous le charme, elle a assisté au meurtre de sa mère par son père, puis au suicide de ce dernier et "ça se voit dans ses yeux qu'elle a tout vu".
Leurs courtes vies ainsi résumées à leur rencontre précoce avec la cruauté du monde, nos sept enfants auraient pu s'incarner sans peine dans la veine la plus sombre du cinéma du réalisme social, mais c'est un tout autre chemin, plus doux et plus solaire, qu'a choisi Claude Barras en adaptant avec Céline Sciamma (qui confirme la justesse de son écriture après sa trilogie sur l'adolescence en tant que réalisatrice : Naissance des pieuvres [+], Tomboy [+] et Bande de filles [+]) le roman Autobiographie d’une courgette de Gilles Paris. Car contrairement au paradigme habituel du lieu de placement dépeint comme un espace de maltraitance aggravé à la Oliver Twist, les Fontaines sont un havre de paix, propice à la reconstruction, à la tolérance et à l'amitié. Une approche positive de la noirceur du passé qui n'est cependant absolument pas une édulcoration car les blessures bouleversant en profondeur ces enfants sont toujours bien présentes. Mais elles affleurent sans envahir le devant de la scène, s'exprimant surtout par les silences et les regards. Ainsi, le film évite le piège de la sur-dramatisation, traite habilement des sujets aux lourdes conséquences (le vide affectif, la famille d'accueil, le droit de garde, l'adoption, etc.) et peut encore mieux déployer la simplicité de son parti pris poétique irrigué par une tendre empathie et un humour bienveillant.
Cette calme distillation de son fort potentiel émotionnel, Ma vie de courgette l'opère grâce à une maîtrise bluffante de l'art de l'animation en stop-motion et en jouant notamment à merveille du contraste entre ses "personnages-marionnettes" très stylisés et le naturalisme des dialogues et des voix. Rythmé en plans-séquences, le film explore un territoire intimiste très éloigné de celui régnant dans l'animation contemporaine à base de vitesse et de spectaculaire. Et dans les yeux immenses de Courgette et de ses amis se mélangent la conscience aigue de la violence du monde et toutes les vertus régénératrices de l'amitié et de la projection dans un avenir meilleur, comme un miroir pour des spectateurs ayant tous été un jour des enfants.
Produit par la Suisse via Rita Productions et par la France avec Blue Spirit Production, Gebeka Films et KNM, Ma vie de courgette est vendu à l’international par Indie Sales.

http://cineuropa.org/ff.aspx?t=ffocusarticle&l=fr&tid=2980&did=309175