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vendredi 17 juin 2016

"Vivre avec l'homosexualité", Isabelle Chollet- Psychologue Association le Refuge Montpellier

Vivre avec l'homosexualité
Isabelle Chollet- Psychologue Association le Refuge Montpellier

Article dans Rhizome N° 60 - Sexualités - Juin 2016 *
Le Refuge
Le Refuge est une association fondée en 2003 à Montpellier par Nicolas Noguier, actuel président, pour accueillir des jeunes de 18 à 25 ans, filles et garçons, en situation d’isolement du fait de leur attirance pour des personnes de même sexe. L’association compte actuellement 15 délégations et antennes dont 14 proposent de l’hébergement. Il y a 4 090 adhérents, 350 bénévoles pour 1 100 000 € de budget national. Les axes prioritaires sont notamment la formation et l’intervention dans les établissements scolaires afin de sensibiliser les jeunes adolescents à la problématique de l’homophobie, la prévention des pratiques à risque et la lutte contre le suicide. Il est d’ailleurs à noter que le Refuge participe depuis 2012 à l’Observatoire national du suicide dont il est membre fondateur et qu’il est en train de réaliser une recherche sur la prévention du suicide dans six de ses délégations.
Le regard sur l’homosexualité évolue et de fait, modifie les pratiques de certains professionnels. En regardant par exemple les pratiques psychiatriques, il est heureux de constater que l’appréhension de l’homosexualité a évolué : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a attendu 1993 pour rayer l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Certains psychologues considèrent « soigner » l’homosexualité.
Même si nous rencontrons encore aujourd’hui des professionnels de la relation d’aide homophobes de façon consciente ou non, la question de l’accompagnement des personnes homosexuelles a évolué même si la formation n’est pas encore très développée sur le sujet.
Psychologue de l’antenne de Montpellier et référente à l’Observatoire national du suicide pour le Refuge, j’ai souhaité depuis longtemps réfléchir sur la façon d’aider des thérapeutes accompagnant des personnes trouvant difficile d’assumer leur homosexualité [1]. C’est en 2009 que j’ai commencé une recherche sur cette thématique, coordonné par Michel Dorais, sociologue, chercheur à l’université Laval (Montréal, Canada), qui a donné lieu à l’édition de l’ouvrage Être homo aujourd’hui en France [2].
Ce qui m’intéressait essentiellement dans cette recherche, c’était de savoir quels pouvaient être les besoins thérapeutiques de mes patients afin de m’adapter au mieux à leurs demandes sans évidemment émettre de jugement.
Notre enquête [3] a montré qu’il était important d’être attentifs à certains éléments, notamment la fragilité dans laquelle ils peuvent être et l’incompréhension qu’ils peuvent ressentir de la part des « aidants ». Près de 80 % des personnes interrogées déclarent avoir traversé des périodes dépressives et 3 sur 10 avoir fait au moins une tentative de suicide ; chiffre qui rappelle que les personnes homosexuelles ou bisexuelles auraient 10 à 13 fois plus de risques de faire des tentatives de suicides que leurs pairs hétérosexuels [4].
Dans cette recherche, nous avons également tenté de savoir quelles étaient selon les personnes interrogées les problématiques les plus fréquentes chez les personnes homosexuelles. Les réponses qui sont ressorties étaient l’acceptation de soi, la mauvaise estime de soi, la honte et la culpabilité ayant pour conséquence un très grand isolement, une solitude et un repli sur soi. La peur du regard, peur du rejet, peur du jugement des autres mais également la peur de décevoir ont été aussi grandement citées. En effet, les personnes vont devoir déjà accepter qui elles sont avant de pouvoir le partager (moyenne de cinq à neuf ans avant de l’exprimer). Socialement, la personne se sent isolée, ne se sent pas comprise, se sent en danger, se sent de trop, subit des moqueries, de l’homophobie, ne connaît pas le milieu homosexuel et ses codes et ne se sent pas de pouvoir en parler. Les personnes qui généralement viennent consulter ne veulent pas trouver des réponses sur le pourquoi mais plutôt sur le comment vivre avec. Par ailleurs, elles seraient en attente non pas que leur thérapeute soit homosexuel mais qu’il soit, pour 71 % des personnes interrogées et selon Michel Dorais, « homo-sensible » : c’est-à-dire qu’ils aient des connaissances sur les réalités homosexuelles masculines et féminines sur le plan historique, sociologique et culturel. Je me suis en effet rendu compte à travers mes collègues de formation qu’il y avait une urgence à informer les professionnels sur la question.
À travers les interventions en milieu scolaire que le Refuge organise, des formations initiées dans le secteur médico-social auprès des travailleurs sociaux en formation mais également des formations que j’ai pu proposer à des professionnels thérapeutes, il m’apparaît important de pouvoir donner quelques repères, des références leur permettant d’engager un accompagnement de qualité.
Il est essentiel de former à la diversité sexuelle qui est peu, voire pas abordée dans les formations de la relation d’aide.
Deux délégations du Refuge ont comme psychologue des thérapeutes par le Jeu et la Créativité.
Il est important dans le cadre de la thérapie de pouvoir permettre l’expression de la manière la plus aisée qui soit. L’approche en Thérapie par le Jeu et la Créativité permet de proposer une manière un peu différente d’être en relation en proposant de s’exprimer autrement que par la parole. Mettre en mots n’est pas facile surtout lorsque la parole a été dévastatrice pour certains jeunes qui se sont retrouvés dehors après avoir annoncé leur homosexualité. Il est donc important d’élargir le champ d’expression.
Créer par Verity J Gavin [5], cette approche thérapeutique met en jeu la relation, la créativité et le sens de la vie. Elle intègre des perspectives existentielles, winnicottiennes et d’anthropologie sociale dans une manière de penser et de pratiquer la psychothérapie pour tous les âges. Elle est fondée sur la rencontre dans un grand respect du potentiel créatif inné de la personne et de celui du thérapeute. Le but va être de développer le potentiel du patient dans la relation à lui-même, à l’autre (le thérapeute) qui permettra donc de développer le courage d’être, le fait d’oser s’exprimer et donc d’exister.
Cette approche un peu différente permet aux jeunes de démystifier la relation au « psy » qui pour certains a pu être difficile. L’accompagnement psychologique et social des professionnels et des bénévoles permet aux jeunes de retrouver un équilibre et une estime de soi pour entrer dans l’âge adulte.

Notes de bas de page

1 Lors de la rédaction de mon mémoire de Thérapie par le Jeu
de la Créativité en 2009, j’ai créé un questionnaire de 35 questions qui devait donner une photographie de la situation. Le Refuge a permis que je puisse mettre mon enquête en ligne et 508 personnes ont répondu à l’appel.
2 Dorais, M. et Chollet, I. (2012). Être homo aujourd’hui en France. H&O.
3 L’enquête s’est basé sur le résultat de 508 répondants au total (72 % d’hommes contre 28 % de femmes), dont l’âge médian était de 28 ans.
4 Shilly, M. (2003). Youg Men Having Sex with Men. British Medical Journal (327), 939-940.

http://www.ch-le-vinatier.fr/orspere-samdarra/rhizome/anciens-numeros/rhizome-n60-sexualites/vivre-avec-l-homosexualite-1333.html