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jeudi 17 mars 2016

Suicides en Poitou-Charentes: les apprentis en première ligne

Suicides en Poitou-Charentes: les apprentis en première ligne


Suicides en Poitou-Charentes: les apprentis en première ligne
Les élèves infirmiers de la compagnie du Criquet Seul font réagir les jeunes sur les signes de la souffrance psychique.
Photos Majid Bouzzit
Par Myriam HASSOUN, mercredi 16 mars 2016, p. 3 la Charente libre
En Poitou-Charentes, les apprentis sont une population vulnérable, sujette aux risques de souffrance psychique et de suicide. Une pièce de théâtre aborde le sujet et sensibilise les jeunes à la prévention.
Anna, 17 ans
Il y a beaucoup de jeunes qui souffrent


Les situations mises en scène ont parlé à Anna, apprentie en 2e année de vente au CFA de Barbezieux. «Ma soeur a été mise à l'écart dans sa classe, elle était renfermée.» Selon la jeune femme, la première chose à faire est de «discuter, savoir d'où vient le vrai problème. On a toujours autour de soi des connaissances prêtes à nous écouter.» Elle-même est allée consulter un psychiatre: «Mais malheureusement, je pense qu'il y a beaucoup de jeunes en souffrance qui n'osent rien dire de peur d'être jugés.»

Benoît s'installe à son bureau en classe et ses camarades lui jettent des boulettes de papier. L'insultent. Une fille lâche même: «Lui, il sert à rien.» Mais Benoît ne réagit pas, met la tête dans les mains et s'isole en attendant la sonnerie. C'est l'une des situations mises en scène par la compagnie du Criquet Seul, formée d'étudiants infirmiers en deuxième année à l'Ifsi (Institut de formation en soins infirmiers) de La Couronne. La troupe joue un spectacle interactif sur la souffrance psychique depuis lundi et jusqu'à vendredi devant des jeunes de sept CFA (centres de formation d'apprentis) ou lycées professionnels charentais dans le cadre des semaines d'information sur la santé mentale (1) . Depuis huit ans, Patrick Rivière, coordonnateur pour la prévention du suicide en Charente à l'hôpital Camille-Claudel et instigateur de cette initiative, utilise ainsi le théâtre comme outil pour évoquer le suicide et le mal-être avec les jeunes. Cet infirmier psychiatrique cible particulièrement les apprentis.
Un public à risque
«Ils sont repérés comme une population à risque, ils sont plus vulnérables, plus sujets aux idées noires et aux tentatives de suicide que les autres», décrit-il. En 2013, un rapport de l'Observatoire régional de la santé (ORS) sur la santé des apprentis en Poitou-Charentes note que les problématiques du suicide et du mal-être «se posent de manière accrue dans certaines filières». Avec des chiffres qui marquent: 31% des apprentis de l'hôtellerie-restauration et 15% des apprentis en production alimentaire-cuisine déclarent avoir tenté de se suicider au moins une fois dans leur vie. Dans ce cadre, l'Agence régionale de santé (ARS) a donc recommandé aux professionnels de la santé mentale de se rapprocher de ce public. «Quand nous intervenons devant une classe, je sais que, statistiquement, il y a forcément 3 ou 4 adolescents concernés par les idées suicidaires», estime Patrick Rivière. Chaque année, 500 jeunes de 15 à 24 ans mettent fin à leurs jours en France. «En Charente, entre 0 et 5 jeunes se suicident par an, mais c'est toujours 5 de trop, détaille l'infirmier psychiatrique. Quand un jeune fait une tentative de suicide, il ne veut pas forcément mourir. Pourtant, parfois, il y parvient. Et c'est cela qu'il faut éviter.»
Pour Eric Gadon, responsable du CFA de Barbezieux, les apprentis sont peut-être plus fragiles car plongés dans un milieu dur, le milieu professionnel, et éloignés de chez eux: «on se rend compte qu'il y a une augmentation de la détresse chez nos jeunes, note-t-il. Certains ont des problèmes liés au social, à la famille ou même à leur employeur.» Un point de vue partagé par Bernard Pascaud, professeur d'anglais et de français au CFA de Barbezieux: «Entrer en apprentissage, c'est entrer dans la vie active, les jeunes ne sont plus cocoonés et pour certains, c'est très difficile.» Selon l'enseignant, les situations présentées par la troupe de Patrick Rivière recoupent le quotidien des élèves: «Même si, de mémoire, on n'a pas eu de cas de suicide, on a beaucoup de problème de harcèlement, d'exclusion, d'insultes. Les jeunes ne sont pas tendres entre eux. On se bat là-dessus.»
Repérer les signes
de souffrance
A travers les saynètes interprétées par la compagnie du Criquet Seul, l'idée n'est pas de cibler les jeunes concernés par le suicide: «On parle plutôt aux ados qui vont bien et qui pourraient porter secours à un copain», assure Patrick Rivière qui prend volontiers l'exemple des gestes de premiers secours. Encore faut-il savoir repérer les signes du mal-être chez un camarade. Alors tout au long de la représentation, les ados sont appelés à se prononcer, à observer comment réagissent les personnages et même à venir sur scène pour montrer comment, eux, auraient aidé l'ami en souffrance. «Benoît adorait la pêche mais maintenant on voit qu'il n'a plus le goût» , «Il dort à moitié en cours», remarquent les jeunes .
Perte d'appétit, irritabilité, solitude et chute des notes. Les jeunes étudient les signes, apprennent à secourir avec leurs moyens à eux: «Tout le monde a sa place dans la prévention du suicide», souligne Patrick Rivière, qui intervient en compagnie d'Isabelle Dumas, infirmière au centre Lieu-Dit et d'Anne-Cécile Hermann, infirmière à Mikado. Deux structures d'aide et d'accueil charentaises vers lesquelles les ados confrontés à ces situations peuvent se tourner.
Les spectateurs repartent de la représentation avec un numéro de téléphone unique à faire circuler (2) . Et avec de bons réflexes. «Aller voir un psy, c'est faire un pas vers soi-même», fait ainsi remarquer une élève. De quoi bien outiller les 90% de jeunes qui vont bien. Afin qu'ils puissent épauler les copains.
(1) Dans ce cadre, la compagnie du Criquet Seul
se produit pour le grand public, parents
et adolescents jeudi soir à 20h à la MJC de Fléac. Entrée libre.
(2) Structure d'accueil Lieu-Dit: 05.45.38.49.49.
Sullivan est en Dima (dispositif d'initiation aux métiers en alternance) au CFA de Barbezieux. «J'ai trouvé que la pièce de théâtre interprétait de vraies situations» juge-t-il. Il y a deux ans, l'adolescent s'est trouvé en situation de souffrance et est allé voir un psychiatre: «Ce que raconte la pièce de théâtre me touche beaucoup. Cela m'a aidé d'aller voir un psy, de parler. C'est important d'aborder ces sujets avec les jeunes. Certains sont dans un vrai mal-être et il faut savoir comment les aider.»
Théo a trouvé très réaliste la pièce de théâtre. «Quand on est en classe, on assiste aux mêmes scènes: certains se font insulter, jeter des boulettes de papier. Le problème, c'est que quand on a un ami dans le mal-être, on ne sait pas trop comment réagir pour l'aider.» Théo a lui-même été confronté à la souffrance d'un copain: «Je le voyais qui changeait, qui allait mal, je me dis que j'aurais pu faire plus de choses pour lui si j'avais su quoi.» 
Myriam HASSOUN m.hassoun@charentelibre.fr
http://www.charentelibre.fr/2016/03/15/suicides-en-poitou-charentes-les-apprentis-en-premiere-ligne,3022877.php