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lundi 22 février 2016

BELGIQUE DEBAT Souffrance psychique et euthanasie: "Il faut pouvoir aborder la question de la mort avec le personnel soignant"

Souffrance psychique et euthanasie: "Il faut pouvoir aborder la question de la mort avec le personnel soignant"
Publié le dimanche 21 février 2016 sur rtbf.be


La souffrance psychique rend le quotidien invivable. Chaque seconde, chaque minute est une souffrance, une douleur. Pour y mettre fin, la mort est une solution. Et souvent c’est le suicide qui meurtrit les familles. D’autres demandent l’euthanasie. Est-ce mieux ? Pire ? Quand on a rendez-vous avec la mort par euthanasie, l’approche change-t-elle ? Quelle est l’importance du "droit à mourir" dans la reconnaissance de la souffrance ? Est-ce un moindre mal ?

Personne ne veut vraiment partir, mais on ne sait plus comment continuer
Pierre-Pol Vincke, le père d’Edith Vincke, qui a mis fin à ses jours dans sa chambre d'hôpital psychiatrique, a accepté de témoigner sur le plateau des Décodeurs. Il aurait préféré pour sa fille l’euthanasie. "Elle a essayé de résister pendant des années, elle a eu de nombreux autres symptômes psychiques à côté de son anorevie. Elle a continué à vivre pour l'espérance de son cercle d'amis. Mais la souffrance est devenue intenable, elle a fait plusieurs tentatives de suicide. Elle a été hospitalisée, plusieurs fois. Il y a eu de grands moments d'espérance, mais au fond, ce fut une gigantesque descente aux enfers."

Caroline Valentiny, psychologue, nous apporte également son témoignage. Elle a guéri, mais le chemin du retour à une vie normale a été long. Elle a aussi tenté de se suicider, plusieurs fois. "Il y a une déconnexion par rapport au monde, une incapacité à profiter des petites choses de la vie. J'étais entièrement dévitalisée, c'était une vie privée de vie. Plus rien ne rassure, plus rien ne vous rejoins. On a alors le sentiment profond que la vie ne pourra plus vous toucher. Vouloir mourir, c'est une incapacité de continuer à vivre de cette manière-là. Personne ne veut vraiment partir, mais on ne sait plus comment continuer."

Les professionnels doivent plus être à l'écoute de la souffrance

Steven Vanackere fait partie des parlementaires belges qui demandent une révision de la loi sur l'euthanasie, et se dit interpellé par la question de la souffrance.

"Quand cette souffrance est formulée sous la forme d'un souhait de mourir, ne faut-il pas se poser la question si ce souhait de mourir n'est en même temps pas une demande d'être aidé? Je ne dis pas qu'il n'y a pas de situation où le souhait de mourir est un fait établi. Mais il y a des circonstances où la personne qui veut mourir nous dit 'Aidez-moi, de grâce...' "

Une réflexion qui pose la question de l'accompagnement des personnes en souffrance psychique. Pierre-Pol Vincke a le sentiment que la détresse de sa fille n'a pas été entendue. "Lorsque j'allais aux réunions m'expliquant les thérapies de ma fille, on m'expliquait qu'aussi longtemps qu'elle n'allait pas vers le médecin on n'irait pas vers elle. On demande à quelqu'un en grande détresse de prendre l'initiative au moment où son assertivité est au plus bas."

Quand la vie est perdue à l'intérieur, il faut que l'environnement ramène la vie

Ce que confirme Caroline Valentiny, qui a dû partir au Canada pour trouver des soins adaptés. "Les moyens mis en œuvre pour aller à la rencontre du patient ne sont pas assez proactifs. C'est un désastre. Quand la vie est perdue à l'intérieur, il faut que l'environnement ramène la vie, encore plus que dans la vie normale."

"J'aurais préféré que l'on écoute attentivement la demande de ma fille, ajoute Pierre-Pol Vinck. Ce processus d'euthanasie aurait été une manière de l'écouter, de donner une forme de proactivité vis-à-vis de son obsession de la mort. Mon enfant était dans un processus de fin de vie. L'euthanasie aurait été un au moins une reconnaissance de fait de sa souffrance. Son suicide n'a rien à voir avec les témoignages de sérénité que j'ai entendu de membres de famille qui ont assisté à une euthanasie pour souffrance psychique."

Pouvoir parler de la mort, de sa souffrance, et ouvrir une nouvelle porte

Caroline Valentiny, auteur du livre "Le jour où ma tête est tombée dans un trou", est " heureuse que la loi n'existait pas à l'époque, parce que ça aurait peut-être ouvert une porte et on aurait mis moins de moyens pour essayer de transformer la situation." Mais la vraie problématique est sur la manière dont est abordée la question de la mort.

"Quand la vie est devenue insupportable à ce point-là et qu'on ne peut même pas aborder la question de la mort avec le personnel soignant, parce que la question fait peur, alors toutes les portes sont fermées. Lorsque je suis allée me soigner au Canada, on m'a dit 'Tu nous donnes 6 mois de ta vie, et après tu choisis'. Au moins, la question était ouverte. Ça a mis un terme à l' 'insupportabilité' de mon état."

"Il faut une discussion sociétale, une discussion sur la manière dont la société traite la souffrance, approuve Steven Vanackere. C'est difficile parce que beaucoup de gens fuient la souffrance des autres, par sentiment d'impuissance, par volonté de ne pas voir. La capacité des gens d'entendre la souffrance est un problème sociétal."

La procédure de demande d'euthanasie est-elle trop hâtive?

"J'ai un peu peur d'une société qui dirait que la meilleure façon de faire disparaître les souffrances c'est de faire disparaître la personne qui souffre, avance le sénateur CD&V. Il d'abord s'investir pour voir si on a tout fait. J'ai l'impression que dans la loi belge actuellement, on peut passer à des décisions trop hâtives et pas faites de manière consciencieuses."

Jacqueline Herremans, membre de la commission de contrôle de l’euthanasie et présidente de l’association "Mourir dans la dignité", n'est pas contre une révision de la loi mais sous certaines conditions. " Lorsque l'on a débattu de la loi sur l'euthanasie, on a aussi débattu sur la manière d'étendre les soins palliatifs. Ce débat permet de se pencher sur la problématique de la santé mentale. Je suis d'accord pour évaluer la loi mais alors de façon très large: il y a aussi les refus d'euthanasie, les sédations terminales qui ne sont pas du tout encadrées.

"Il faut faire attention à la manière dont on va toucher à la loi, par rapport aux termes qui sont utilisés. Il faut les préserver. Le droit médical en général ne donne pas de termes précis car il faut laisser la responsabilité aux acteurs de terrain."

La loi n'est pas là pour donner toutes les solutions

"La loi n'est pas fait pour gérer le travail du personnel médical, elle est là pour éviter les abus et les fautes, confirme Steven Vanackere. Mais la loi dit qu'il ne faut qu'un mois entre la demande d'euthanasie et l'euthanasie. Si vous trouvez un médecin qui juge que votre médecin est intraitable et inapaisable, ça suffit. La loi prévoit que d'autres médecins doivent être consultés dans certains cas, mais elle ne dit pas qu'ils doivent tous être du même avis. Si le médecin traitant, euthanasiant, considère que la demande est valable, la commission peut l'accepter en vertu de la loi."

Ce à quoi répond Jacqueline Herremans, relativisant les propos du sénateur CD&V: "Je ne vois pas pourquoi un médecin maintiendrait sa position alors qu'il n'y pas confirmation d'éléments essentiels, comme les caractères grave, incurable et inapaisable. C'est au médecin d'établir le caractère incurable de la maladie, et c'est au patient d'exprimer ses souffrances. C'est très subjectif. La loi n'est pas là pour donner toutes les solutions. Elles doivent être données par les professionnels et les patients."

Et Pierre-Pol Vinck de conclure: "Il faut évaluer les modalités d'application de la loi, et elle doit se faire entre les différentes parties prenantes, y compris les personnes en souffrance psychique."
Video http://www.rtbf.be/video/detail_faut-il-changer-la-loi-euthanasie?id=2085624


http://www.rtbf.be/info/societe/detail_souffrance-psychique-et-euthanasie-il-faut-pouvoir-aborder-la-question-de-la-mort-avec-le-personnel-soignant?id=9219440