Burn out : les internes se prennent en main
Dr Leslie Grichy, Interne en psychiatrie
Paris, le samedi 23 avril 2016 -La souffrance des
soignants est depuis quelques années l'objet d'une certaine
attention. Mais, en dehors des semaines où le suicide d'un interne
ou d'un étudiant hospitalier est mis à la Une dans les médias, la
souffrance au travail des internes est encore le plus souvent
occultée. Sans doute pour partie en raison de leur statut
intermédiaire entre étudiant en formation et
praticien.
Devant le silence assourdissant des autorités de tutelle face à ce qui n'est cependant pas un phénomène nouveau, des internes des Hôpitaux de Paris ont décidé de se prendre en main et ont créé un dispositif d'entraide par les pairs, SOS SIHP. Plusieurs d'entre eux nous le présentent aujourd'hui.
Par Leslie Grichy*, Jean de Lepinau, , Hélène Chartrier, Nicolas Delanoy et le Pr Patrick Hardy
D’après une méta-analyse internationale publiée en 2015 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), 29 % des médecins juniors présentent des troubles ou des symptômes dépressifs1. Ceci est inquiétant. Cette étude confirme qu’être interne en médecine, dans les conditions actuelles de formation, est un facteur de risque de souffrance psychique.
Puisqu’aucune étude nationale française n’a été réalisée sur ce sujet, c’est la littérature étrangère qui nous permet de lister en deux catégories principales les facteurs de protection et les facteurs de risque propres aux internes en médecine.
Les études concernant le sexe sont contradictoires. Certaines concluent à un sur-risque de décompensation dépressive pour le sexe féminin4, alors que d’autres ne trouvent aucune différence significative6. Enfin, ce risque de souffrance psychique semble être inversement proportionnel à l’âge7.
Un temps de travail4 excessif, le manque de loisirs et le manque de sommeil5 sont des facteurs de risque de souffrance psychique, souvent liés au mode de vie imposé par l’internat
Si important lors de l’internat, l’encadrement peut être un facteur protecteur en cas de responsabilisation supervisée de l’interne ou de valorisation de ses efforts9. Il
représente malheureusement un facteur de risque dès lors qu’il
s’exerce dans un contexte de violence au travail, de manque de
ressources matérielles ou humaines ou d’une communication difficile
au sein du service10.
La participation à des erreurs médicales augmente considérablement le risque de détresse psychique5.
Finalement, bénéficier d’un bon soutien confraternel est un facteur protecteur reconnu11. Est-il bien répandu ?
Le constat est donc celui d’une souffrance trop fréquente qui nuit à la qualité de la formation. L’absence de considération par les tutelles de santé de cette souffrance a poussé le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP) à créer dans l’urgence le « SOS SIHP » en février 2015.
SOS SIHP est un dispositif permettant à tout interne en souffrance psychique de se tourner vers ses pairs via une adresse email : sos.sihp@gmail.com. Un interne participant à SOS SIHP les rappelle pour une écoute. Il les redirige, si le besoin s’en fait ressentir, vers l’un des 9 services parisiens de psychiatrie ayant accepté de recevoir bénévolement et rapidement des internes.
Il s’agit d’un premier pas vers les soins franchi, premier pas qui permettra une prise en charge plus spécifique dans une population où la souffrance psychique est une réalité encore taboue quand elle est liée au travail. Le nombre d’internes étant en phase d’augmentation, c’est un à deux internes par semaine qui contactent actuellement SOS SIHP. Mais derrière un interne qui nous appelle, combien restent silencieux ?
SOS SIHP est composée d’internes en psychiatrie et d’internes en médecine du travail. Il nous a semblé important d’associer ces deux disciplines, car il est rare que les problématiques soient dissociées de leur milieu professionnel.
SOS SIHP se généralise très rapidement à la France entière. Les internes de Marseille ont créés leurs dispositif (sos.saihm@gmail.com), ceux de Rouen également (sos.med.rouen@gmail.com) et d’autres villes suivent progressivement la même route. Cette propagation rapide confirme un besoin réel et urgent. C’est par une action combinée sur le plan national que nous pourrons espérer une meilleure prise en charge de nos plus jeunes confrères et une prise de conscience de la situation.
* Interne en psychiatrie, vice présidente du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris -SIHP), présidente de la PEPS;
Devant le silence assourdissant des autorités de tutelle face à ce qui n'est cependant pas un phénomène nouveau, des internes des Hôpitaux de Paris ont décidé de se prendre en main et ont créé un dispositif d'entraide par les pairs, SOS SIHP. Plusieurs d'entre eux nous le présentent aujourd'hui.
Par Leslie Grichy*, Jean de Lepinau, , Hélène Chartrier, Nicolas Delanoy et le Pr Patrick Hardy
D’après une méta-analyse internationale publiée en 2015 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), 29 % des médecins juniors présentent des troubles ou des symptômes dépressifs1. Ceci est inquiétant. Cette étude confirme qu’être interne en médecine, dans les conditions actuelles de formation, est un facteur de risque de souffrance psychique.
Puisqu’aucune étude nationale française n’a été réalisée sur ce sujet, c’est la littérature étrangère qui nous permet de lister en deux catégories principales les facteurs de protection et les facteurs de risque propres aux internes en médecine.
«Mais vous êtes d’une génération si fragile… »
Plusieurs facteurs jouent un rôle protecteur face au risque de dépression : le fait d’être marié2 ou d’avoir développé des stratégies d’adaptation face à la souffrance et à la mort5, par exemple. A l’inverse, les facteurs de risque retrouvés sont : les antécédents personnels d’épisode dépressif majeur et les comorbidités addictives3, le mauvais état de santé physique et l’épuisement émotionnel4, la personnalité de l’interne et la perception qu’il a de lui-même5.Les études concernant le sexe sont contradictoires. Certaines concluent à un sur-risque de décompensation dépressive pour le sexe féminin4, alors que d’autres ne trouvent aucune différence significative6. Enfin, ce risque de souffrance psychique semble être inversement proportionnel à l’âge7.
« Mon pauvre, tu aurais du choisir autre chose… »
Les internes ayant choisi la psychiatrie, l’anesthésie-réanimation, la gynéco-obstétrique et la radiologie sont les plus vulnérables5,7. Le fait de douter de la pertinence de son choix de spécialité8 représente également un facteur de vulnérabilité.Un temps de travail4 excessif, le manque de loisirs et le manque de sommeil5 sont des facteurs de risque de souffrance psychique, souvent liés au mode de vie imposé par l’internat
Si important lors de l’internat, l’encadrement peut être un facteur protecteur en cas de responsabilisation supervisée de l’interne ou de valorisation de ses efforts
La participation à des erreurs médicales augmente considérablement le risque de détresse psychique5.
Finalement, bénéficier d’un bon soutien confraternel est un facteur protecteur reconnu11. Est-il bien répandu ?
Le soutien par les pairs
Les internes en médecine constituent une population très exposée aux risques psycho-sociaux. On peut lister comme causes leur subordination dans l’organigramme médical, leur ballotement au sein des équipes soignantes et leur statut complexe (personnel médical en formation, mais référent médical principal du patient). Ce risque est amplifié par le fait qu’ils ne sont que rarement suivis par les services hospitaliers de santé au travail. D’ailleurs, en cas de difficultés, ils ont davantage tendance à se tourner vers leurs pairs12.Le constat est donc celui d’une souffrance trop fréquente qui nuit à la qualité de la formation. L’absence de considération par les tutelles de santé de cette souffrance a poussé le syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP) à créer dans l’urgence le « SOS SIHP » en février 2015.
SOS SIHP est un dispositif permettant à tout interne en souffrance psychique de se tourner vers ses pairs via une adresse email : sos.sihp@gmail.com. Un interne participant à SOS SIHP les rappelle pour une écoute. Il les redirige, si le besoin s’en fait ressentir, vers l’un des 9 services parisiens de psychiatrie ayant accepté de recevoir bénévolement et rapidement des internes.
Il s’agit d’un premier pas vers les soins franchi, premier pas qui permettra une prise en charge plus spécifique dans une population où la souffrance psychique est une réalité encore taboue quand elle est liée au travail. Le nombre d’internes étant en phase d’augmentation, c’est un à deux internes par semaine qui contactent actuellement SOS SIHP. Mais derrière un interne qui nous appelle, combien restent silencieux ?
SOS SIHP est composée d’internes en psychiatrie et d’internes en médecine du travail. Il nous a semblé important d’associer ces deux disciplines, car il est rare que les problématiques soient dissociées de leur milieu professionnel.
SOS SIHP se généralise très rapidement à la France entière. Les internes de Marseille ont créés leurs dispositif (sos.saihm@gmail.com), ceux de Rouen également (sos.med.rouen@gmail.com) et d’autres villes suivent progressivement la même route. Cette propagation rapide confirme un besoin réel et urgent. C’est par une action combinée sur le plan national que nous pourrons espérer une meilleure prise en charge de nos plus jeunes confrères et une prise de conscience de la situation.
* Interne en psychiatrie, vice présidente du Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris -SIHP), présidente de la PEPS;
source article http://www.jim.fr/medecin/jimplus/tribune/e-docs/burn_out_les_internes_se_prennent_en_main_158373/document_edito.phtml
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Article passé sur le sujet
D'après article "Dépression des internes : on en connaît tous un qui s'est suicidé. On devait agir"
Publié le 14-12-2015 sur leplus.nouvelobs.com*
Par Leslie Grichy et Nicolas Delanoy
Internes
LE PLUS. Près d'un tiers des jeunes médecins en internat souffrirait de dépression. C'est en tout cas ce que révèle une étude publiée dans la revue médicale "JAMA". Pour combattre ce fléau, Leslie Grichy et Nicolas Delanoy, eux-mêmes internes, ont créé SOS SIHP, un service d'écoute ouvert aux jeunes médecins. Par cette initiative, ils veulent mettre fin au tabou de la souffrance au travail.
Édité par Anaïs Chabalier Auteur parrainé par Rozenn Le Carboulec
Près d’un tiers des internes en médecine présenteraient les signes d’une dépression. C’est ce qu’affirme une étude internationale récemment publiée dans la prestigieuse revue médicale "JAMA".
Ce constat a été établi à partir de la synthèse d’une cinquantaine d’études scientifiques, réalisées chez des internes en médecine dans une quinzaine de pays. S’il est toujours délicat de regrouper les données d’études aux méthodologies différentes, réalisées sur une large période (entre 1972 et 2012), cette analyse permet d’estimer que 28,8% des internes présentent les signes d’une dépression.
Difficile d’en dire plus quant à la sévérité de ces symptômes ou sur leurs conséquences sur la qualité des soins. Cependant, deux autres données ressortent de cette étude : d’une part, cette proportion d’internes en souffrance psychique est en légère augmentation au fil des années, d’autre part, l’apparition des symptômes dépressifs est bien corrélée à la prise de la fonction d’interne.
L'internat est une véritable rupture
Il est vrai que la période de l’internat est une véritable rupture avec le début des études de médecine. C’est s’engager pour une carrière dans une spécialité, c’est parfois partir dans une autre ville, mais c’est surtout passer du monde sécurisé des livres et des exercices théoriques à une réalité plus complexe, plus incertaine, avec des drames humains que l’interne doit souvent gérer en première ligne.
Si la France ne faisait pas partie de cette étude, un chiffre permet d’affirmer qu’il en est très probablement de même dans notre pays : chaque année, c’est au moins cinq internes qui mettent fin à leurs jours en Île-de-France (selon l'ARS et l'APHP). Nous connaissons tous un interne qui s’est suicidé ou a tenté de mettre fin à ses jours. En tant que syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP), nous ne pouvions pas rester passifs.
C’est pourquoi nous avons créé en février 2015 un dispositif appelé SOS SIHP, qui permet aux internes en détresse morale de contacter chaque jour de la semaine un interne en psychiatrie. SOS SIHP repose sur le bénévolat. C’est une des trop rares portes auxquelles un interne en détresse morale peut frapper.
Cette initiative a été très bien accueillie par nos aînés qui se sont engagés à nos côtés. Nous disposons aujourd’hui d’un véritable réseau de médecins séniors psychiatres, capables de recevoir au cours d’une consultation anonyme et gratuite les internes qui font appel à SOS SIHP.
La souffrance au travail est taboue
Les appels que nous recevons recouvrent des situations diverses : erreur médicale, agression physique, "burn out", erreur d’orientation lors du choix de la spécialité…
SOS SIHP est une jeune structure. Notre expérience repose sur plusieurs dizaines d’appels mais qui cependant suffisent à dresser une histoire typique. La plupart du temps, les appels sont tardifs, alors que la souffrance s’est installée depuis plusieurs mois. Le paradoxe d’un médecin malade est difficile à accepter, celui qui est le soutien de ses patients ne doit pas faillir et encore moins montrer des signes de faiblesse à ses pairs.
Peut-être encore plus qu’ailleurs, la souffrance au travail est taboue.
Il faut réveiller les consciences
L’étude du "JAMA" vient à point nommer pour réveiller les consciences. Le bilan de cette étude est valable aussi bien aux États-Unis qu’en Europe ou en Asie. Or l’internat revêt des formes diverses selon les pays. Bien plus qu’une réforme de l’internat, c’est un changement de culture qui doit s’opérer.
Il est temps que la vulnérabilité psychologique des internes soit prise en compte et fasse l’objet d’une réelle prévention, même s’il est difficile d’accepter qu’un interne puisse développer une maladie professionnelle.
Des moyens simples existent, comme mieux informer les futurs internes sur ces risques, ou étendre au territoire national une structure comme SOS SIHP. Enfin, de nouveaux outils pédagogiques, qui apportent davantage de simulation dans la formation des étudiants, permettraient de mieux les armer face aux exigences techniques et humaines de la réalité des soins.
* http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1460305-depression-des-internes-on-en-connait-tous-un-qui-s-est-suicide-on-devait-agir.html