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jeudi 10 septembre 2015

ARTICLE PRESSE Milieu agricole. Le suicide, une réalité en Bretagne

Milieu agricole. Le suicide, une réalité en Bretagne
10 septembre 2015 http://www.letelegramme.fr/finistere/morlaix/milieu-agricole-le-suicide-une-realite-10-09-2015-10768516.php
  Dans un milieu agricole qui demeure bien souvent renfermé sur lui-même, le suicide des exploitants est une réalité. « Mais on n'en parle jamais », se lamente-t-on de plus en plus régulièrement dans les campagnes. Programmée aujourd'hui, la journée mondiale de prévention du suicide est justement l'occasion de se pencher sur ce sujet délicat qui frappe sévèrement les paysans.
Reportage en pays de Morlaix.
Difficile de se lancer sur une problématique, qui plus est sur un thème sensible, lorsque l'on dispose de très peu de données chiffrées sur lesquelles s'appuyer. C'est le cas pour le suicide dans le milieu agricole. Une réalité qui touche pourtant de plein fouet le monde rural. L'Institut de veille sanitaire (INVS) l'avait d'ailleurs révélée en octobre 2013, en publiant les résultats de la première étude officielle sur le sujet.
Catégorie sociale la plus touchée
« Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France », avait conclu l'enquête, en indiquant qu'entre 2007 et 2009, 417 hommes et 68 femmes sont passés à l'acte. Le plus souvent par pendaison. Autre précision : l'agriculture est la catégorie sociale la plus touchée par les suicides, avec 20 % de décès en plus que dans le reste de la population. Signe qu'un profond désespoir a progressivement rongé le monde paysan. Isolement social et professionnel, difficultés financières, amplitude horaire importante, contraintes physiques, aléas climatiques... Plusieurs facteurs peuvent expliquer le passage à l'acte. Mais sans qu'existent des statistiques région par région, département par département, production par production. « Les agriculteurs qui mettent fin à leurs jours, bien sûr que ça existe. Mais c'est très compliqué à quantifier », note Alain Hindré, exploitant à Plouzané, à l'origine du lancement de la cellule finistérienne de suivi des agriculteurs en difficulté (lire par ailleurs). D'autant que les suicides ne sont pas toujours avoués par les familles. Par culpabilité, notamment.
« Entraide beaucoup moins forte »
Seule certitude : aucun territoire n'est épargné. « On intervient dans le pays de Morlaix, comme dans l'ensemble du département », souligne ainsi Florence Daniel, responsable du service des interventions sociales à la Mutualité sociale agricole (MSA) de Landerneau. En pointant du doigt la solitude et le manque de lien social. « Le repli sur soi s'est amplifié au fil des années. Avec la diminution du nombre d'exploitations, on ne peut plus compter autant sur le voisinage. L'entraide est beaucoup moins forte qu'avant », constate Alain Hindré, pour qui une des priorités est de casser l'isolement. « Nous n'avons pas de recette miracle. Mais retisser du lien est quelque chose d'essentiel », appuie Françoise Fourn, conseillère d'entreprise à la chambre d'agriculture du Finistère, spécialisée dans l'accompagnement des exploitations en difficulté sur le plan financier. Pas évident, car dans les campagnes, la loi du silence reste difficile à briser. Surtout sur un sujet aussi tabou que le suicide. Très rares sont d'ailleurs les personnes qui ont été touchées par la perte d'un proche qui acceptent d'évoquer ce qui demeure forcément une plaie béante.
« Le poids de l'héritage familial »  
« Culturellement, c'est quelque chose dont on ne parle pas beaucoup », reconnaît aisément Alain Hindré. « Le poids de l'héritage familial joue beaucoup. Se dire qu'on ne va peut-être pas réussir à pérenniser l'exploitation peut provoquer un sentiment de honte et pousser au pire », ajoute l'exploitant de la région brestoise. « Il nous arrive de voir des agriculteurs qui n'ont pas de problèmes financiers. Mais le fait d'être mal perçus par une partie de l'opinion publique alors qu'ils travaillent énormément engendre chez eux un fort désarroi », relève Florence Daniel. Mettre fin à ses jours devient alors l'ultime moyen de dénoncer un profond mal-être. « Même si, termine Françoise Fourn, quelqu'un qui se suicide ne veut pas mourir ». En 
complément Témoignage :
« On ne l'a pas vu venir » Il peut y avoir des signes avant-coureurs. Certains, même, étalent leurs idées noires en évoquant un possible passage à l'acte. Et puis, parfois, le suicide vous tombe dessus. Brutalement. Sans crier gare. Marie-Pierre (*) en sait quelque chose. Il y a quelques années, son fils agriculteur s'est donné la mort. « Avec mon mari, on ne l'a absolument pas vu venir. Personne dans la famille n'avait imaginé ça », témoigne aujourd'hui la maman, en gardant l'anonymat.
« Le métier lui plaisait » C'était une matinée froide et pluvieuse, ce jour-là, dans l'exploitation familiale, quelque part au coeur de la campagne du pays de Morlaix. « Peut-être que cette météo morose a été un facteur déclenchant », suggère Marie-Pierre, en se rappelant que son fils était encore occupé à nourrir les bêtes quelques minutes seulement avant de basculer de l'autre côté de la rive. Sans explication. Sans laisser de lettre. « Est-ce qu'on a dit quelque chose ? Est-ce qu'on a fait quelque chose ? Ou, au contraire, est-ce qu'on n'a pas fait quelque chose ? Forcément, on culpabilise. Tout au long de notre vie, on continuera à se poser des questions ». « On avait l'impression que le métier lui plaisait, on ne lui avait pas forcé la main », poursuit la maman qui, naturellement, s'est demandée si le décès de son fils était lié à la situation de l'exploitation.
« Que peut-on faire quand on ne s'y attend pas ? » « Il n'y avait pas vraiment de souci à la ferme. Financièrement, il n'avait pas le couteau sous la gorge. Mais il y avait sûrement quelque chose. On ne se suicide pas comme ça », indique-t-elle. « On reste avec sa mort sur les bras », souffle Marie-Pierre, qui reconnaît que le suicide en milieu rural demeure un sujet tabou. « En parler, ça pourrait peut-être aider les plus fragiles à oser se faire suivre. Mais, termine-t-elle, quand on ne s'y attend pas du tout, que peut-on faire ? » * Le prénom a été modifié

Une priorité : l'écoute « La prévention, c'est un travail de tous les jours ». Au sein de la cellule de suivi des agriculteurs en difficulté, combattre le mal-être et tenter d'interrompre les crises suicidaires sont au coeur des préoccupations. Lancée en 2011 par Alain Hindré et Bernard Simon, président de la MSA d'Armorique, suite à la crise du lait qui avait durement secoué les campagnes, la structure réunit le conseil général et différents acteurs (lire ci-dessous). Avec un leitmotiv : écouter d'abord, orienter ensuite. « Lorsqu'on a communiqué sur la création de cette cellule, on a eu des pics d'appels. Elle répondait à un manque, car jusque-là, les gens ne savaient pas qui appeler », explique Alain Hindré, en précisant que la confidentialité est respectée. Dans les cas les plus compliqués, il est fait appel au réseau Sentinelle, qui regroupe 14 personnes formées pour appréhender les risques suicidaires. « On accompagne une soixantaine de cas à l'année dans le département. Les gens qui nous appellent sont dans des situations très dégradées. Il faut gérer l'urgence », indique, pour sa part, Gaëlle Ringeard, qui gère l'association Solidarité paysans.
L'explosion du psychosocial Créée il y a dix ans et basée à Quimper, elle regroupe une vingtaine de bénévoles, essentiellement des agriculteurs ou des retraités du monde rural. « Au début, on traitait beaucoup de cas technico-économiques. Aujourd'hui, la part du psychosocial a pris une part beaucoup plus importante », renseigne Jean-Charles Jacopin, qui copréside l'association. Une tendance qui, avec les crises successives, risque d'être difficile à inverser. Contact En cas de difficulté, les agriculteurs peuvent contacter la chambre d'agriculture (02.98.41.33.18), la MSA (02.98.85.59.13), Solidarité paysans (02.98.52.48.60) ou SOS Amitié Brest (02.98.46.46.46, appel anonyme 24 h/24)
Suicide. « En cas de doute, il faut poser clairement la question»
Céline Bigault-Kopp est psychologue, spécialisée dans la prévention du suicide. Rattachée à l'hôpital de Morlaix, elle intervient à Carhaix. Pour elle, le sujet reste encore trop tabou alors qu’il faut, pourtant, ne pas hésiter à en parler. La prévention du suicide passe par la détection de «signes» avant le passage à l’acte.
 
Quels sont ces signes? Les signes précurseurs sont nombreux. À partir du moment où quelqu’un formule des idées du genre «Vous seriez mieux sans moi» ou «Y’en a marre», il faut se poser la question et ne pas hésiter à en parler à la personne.
Faut-il clairement demander à cette personne si elle envisage de se suicider? Oui. Certains proches peuvent être tentés de se dire que, si on n’en parle pas, au moins on ne risque pas de provoquer des idées chez l’autre. Mais, au contraire : il faut poser la question franchement. La personne concernée répondra clairement. Soit elle dira que oui, soit elle dira qu’elle n’en est pas là. Dans le premier cas, la réaction est simple: il faut dire à cette personne qu’elle n’est plus seule et l’orienter vers des professionnels comme le médecin traitant, qui pourront lui venir en aide.
Qu’en est-il des proches, une fois que la personne est passée à l’acte? Le deuil d’une personne qui s’est suicidée est un deuil très difficile car les personnes se retrouvent isolées avec leurs questions et leur souffrance car ça reste encore quelque chose dont on ne parle pas. Les proches ressentent souvent de la colère envers le suicidé car il n’en a pas parlé, de l’incompréhension car il n'a pas toujours laissé d'explication et surtout de la culpabilité. Celle de ne pas avoir vu ou su. Mais il faut connaître les signes pour détecter une crise suicidaire et tendre la main. C’est pour ça que je milite pour les faire connaître.
Comment aider les personnes en deuil? Encore une fois, je le répète, il faut en parler. Et soutenir et accompagner ces personnes, quitte à les diriger vers des associations d’aide. Mais le premier remède reste la parole. Si vous souffrez ou présentez des idées suicidaires, ne pas hésiter à se rapprocher du médecin traitant ou contacter SOS Suicide ou SOS Amitié.