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jeudi 20 août 2015

Autour de la question : Comment parler de la mort avec un enfant ?

Comment parler de la mort avec un enfant ? Sarah Chiche


À partir de quel âge un enfant a-t-il conscience de la mort ? Faut-il lui en parler ou attendre qu’il pose des questions ? Comment évoquer, à un enfant gravement malade, la possibilité de sa disparition ?

En 1976, aux adultes soucieux de bien répondre aux questions que les enfants se posent sur la mort, la psychanalyste Françoise Dolto conseillait de dire : « Nous mourrons quand nous aurons fini de vivre », c’est-à-dire une fois seulement que nous aurons accompli tout ce que nous avons à accomplir. Mais bien souvent, il arrive qu’une question posée par un enfant sur ce sujet nous laisse désemparés. De fait, chaque fois qu’un enfant pose une question sur la mort, si nous lui répondons en adulte, nous nous identifions aussi à lui, en repensant à l’enfant que nous avons été.

« Cachez cette mort que je ne saurais voir »

Le vieillissement de la population, aussi bien que la valorisation de l’individualisme, mettent en avant une autonomie où « vivre sa vie » implique aussi de savoir « vivre sa mort ». Les manuels de développement personnel le martèlent et à chaque catastrophe ou attentat le mot est lâché : il importe de savoir « faire son deuil ». On a vu fleurir un étonnant « salon de la mort », où chacun peut venir se renseigner sur les matériaux les plus chics pour capitonner son cercueil ou les possibilités d’adresser à ses proches des mails posthumes réguliers. De plus en plus de travaux insistent sur le fait qu’à terme, compte tenu des catastrophes écologiques, de l’épuisement des ressources naturelles, etc., l’humanité n’en aurait plus pour des siècles. Pour autant, soulignait récemment la psychanalyste Mi-Kyung Yi, en ouverture d’un colloque consacré à l’université Paris-Diderot à l’enfant et la mort, « les progrès de la médecine et la médicalisation conséquente de la mort tendent paradoxalement à effacer la mort en la remplaçant par la maladie. Quand malgré tout la mort survient, elle est vécue comme un échec. Elle est donc priée de se rendre acceptable aux yeux des vivants. » Ce sont toutes ces mutations anthropologiques qu’il faut avoir à l’esprit quand un enfant nous questionne sur ce qu’est « mourir ». Mais à quel âge est-il en mesure de pouvoir appréhender une question métaphysique si vaste ?

Les quatre phases du deuil chez l’enfant

La psychologie du développement s’est intéressée aux stades du deuil et à sa résolution, notamment via les travaux de John Bowlby. Contre Anna Freud, qui prétendait qu’un bébé n’avait pas les compétences suffisantes pour appréhender un deuil au point d’en souffrir, Bowlby insistera, dans les années 1960, sur le fait que le deuil peut marquer un enfant dès qu’un comportement d’attachement a été précédemment enclenché, mais que la figure d’attachement disparaît soudain. Selon Bowlby, la difficulté à l’âge adulte, chez d’anciens enfants endeuillés, à construire des relations affectives non superficielles avec les autres, peut découler directement de la perte de la mère, remplacée trop fréquemment par des belles-mères de passage.
C’est à partir du septième mois qu’un bébé va élire une figure d’attachement principale. Il va s’y attacher de façon si exclusive que, souvent, vers le 8e mois, il peut manifester, en présence d’étrangers, une forte anxiété liée à la peur de la disparition, dans son champ de vision, de sa principale figure d’attachement. C’est d’ailleurs d’abord en observant comment les enfants vivent une séparation que les psychologues du développement Colin Parkes, John Bowlby, et James Robertson identifieront chez eux quatre phases du deuil :
1) La révolte qui se manifeste avant tout par de la colère et de la peur.
2) Le déni, caractérisé par le refus de croire à la réalité de la disparition de la personne.
3) La dépression et son lot d’angoisse, de tristesse, voire d’agressivité. Quand un enfant souffre trop de la mort d’un proche, il peut être tenté d’avoir envie de le rejoindre.
4) La réorganisation : l’enfant commence à réinvestir l’existence, il s’attache à d’autres personnes, s’intéresse à nouveau à son environnement. Quand l’enfant est confronté au deuil d’un parent ou d’un membre de la fratrie, la totalité de ces phases ne devrait pas excéder deux ans. Au-delà, c’est qu’un processus de deuil pathologique s’est enclenché.

Lorsque l’enfant disparaît

Un cas particulier concerne celui de la mort d’un enfant. De fait, insiste Mi-Kyung Yi, comment appréhender une réalité « dans ce qu’elle a de plus sidérant. L’enfant et la mort. La réunion de ces deux mots suscite le trouble instantanément. C’est un scandale, une pierre sur laquelle on bute. » Dans L’enfant éternel (Gallimard, 2007), l’écrivain Philippe Forest, confronté à la disparition de son enfant, écrivait : « Je fais ce rêve. Au matin, elle m’appelle de sa voix gaie au réveil. Nous disons quelques mots ordinaires. Elle ne peut plus descendre seule l’escalier. Je la prends dans mes bras. Sa main gauche s’accroche à mon épaule, elle glisse autour de moi son bras droit et dans le creux de mon cou je sens la présence tendre de sa tête nue. Me tenant à la rampe, la portant, je l’emmène avec moi. Et une fois encore, vers la vie, nous descendons les marches raides de l’escalier de bois rouge. ». Mais que répondre à un enfant gravement malade qui vous regarde dans les yeux et vous demande s’il va mourir ? Dans un livre fondateur sur le sujet (Lorsque l’enfant disparaît, Odile Jacob, 1996), Ginette Raimbault avait rappelé que face au silence des adultes, l’enfant se taira. Or, questionne Mi-Kyung Yi, n’est-il pas important de parler de ces choses, si douloureuses soient-elles, pour que puisse résonner la voix infantile ? Et de citer cette parole d’une petite fille malade : « Ça m’est égal de mourir, maman, à condition que tu sois avec moi. »

Voir aussi l’article « Perdre un enfant, la mémoire et l’oubli » dans le Cercle Psy n°6
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La perception de la mort chez l'enfant

La plupart du temps, jusqu’à l’âge de 3 ans, un enfant qui constate que, soudain, une personne n’est plus là, pense qu’elle est ailleurs. S’il pose une question à ce sujet, il ne faut surtout pas lui mentir. Certains adultes, démunis face à la question d’un tout-petit, lui mentent pour, pensent-ils, le protéger. C’est le fameux « Papa est en voyage », « Maman est en vacances » qui, non seulement ne protégera pas l’enfant, mais sera susceptible d’entraîner des symptômes. On voit ainsi des enfants dont un parent ou un proche est mort, continuer à attendre, pensivement, son retour, face à la fenêtre, jusqu’à ce qu’il comprenne, enfin, qu’on lui a menti. Mieux vaut alors répondre simplement à l’enfant que « X ou Y est mort ».
À partir de 4 ans, certains enfants peuvent avoir l’intuition que la mort équivaut à une immobilité du corps, et donc à une absence de vie. Les enfants qui vivent à la campagne ou ceux qui ont vu un animal de compagnie mort, peuvent mieux se représenter la mort que les enfants des villes.
Vers quatre ans et demi, 5 ans, au moment même où l’enfant construit des théories sur la sexualité et la naissance, ou juste après, viendront les questions sur la mort. « Est-ce que tout le monde doit mourir ? », « Et toi, maman/papa/papy/mamie, tu vas mourir un jour ? », « Et moi aussi ? ». Une fois encore, il importe de ne pas mentir à l’enfant. On peut lui répondre que, oui, tout le monde meurt un jour mais qu’on meurt quand on est très très vieux et qu’on a fait tout ce qu’on avait à faire dans la vie.
Sauf événement traumatique dans l’entourage de l’enfant, ce n’est que vers l’âge de 7 ans, que l’enfant peut véritablement conceptualiser que la mort est irréversible. C’est la raison pour laquelle les cauchemars, les angoisses à l’heure du coucher, sont si fréquents à cet âge-là. Ces phénomènes sont normalement transitoires. Face à un enfant qui parle quotidiennement et durablement de sa peur de perdre ses parents ou de mourir, ou qui déclenche des troubles obsessionnels compulsifs (« Si je saute par-dessus la marche de l’escalier, alors je ne mourrai pas ») à répétition, il ne faut pas rester indifférent et ne pas tarder à l’emmener consulter.