Une étude
récente a mis en lumière le lien qui existe entre le taux de chômage et
les tentatives de suicide. À Roubaix, où le chômage touche 37 % de la
population, on comptabilise 230 tentatives de suicide pour 100 000
hommes. Un taux élevé bien qu’en dessous de celui du Nord -
Pas-de-Calais (284 pour 100 000). Mais c’est pourtant au centre
hospitalier de Roubaix qu’une structure inédite a vu le jour en 2010.
Cinq ans après, quelles sont les conséquences de la mise en place de
cette cellule d’écoute des suicidants<UN>? Réponses avec la
psychiatre Isabelle Milhavet.
D’où est venu le projet de mettre en place cette cellule de réécoute des suicidants Sisyphe en 2010 à l’hôpital Victor-Provo ?
« En faisant une évaluation auprès des gens qui
étaient admis aux Urgences pour une tentative de suicide (TS), on s’est
rendu compte qu’un tiers d’entre eux était déjà suivi par un centre
médico psychologique (CMP) et un autre tiers nécessitait une
hospitalisation. Mais pour le dernier tiers, il n’y avait aucun suivi.
On leur remettait un carton pour qu’ils se rendent en CMP mais seulement
20 % d’entre eux consultaient vraiment. Et on sait que lorsqu’on a fait
une TS, on a plus de risques de mourir d’un suicide. L’objectif était
donc de savoir ce que devenaient les 80 % restant. »
Comment intervenez-vous auprès de ces patients fragiles ?
« Le premier entretien dure une heure. Nous y allons à
deux, un psychiatre et un infirmier. C’est un moment primordial. Il
faut qu’il sorte rassuré, qu’il nous fasse confiance. On rencontre sa
famille, son entourage. On lui confie alors une carte de crise avec les
numéros de l’infirmier référent et d’une cellule qui est toujours
joignable. On le revoit ensuite dans les 48 heures au sein des locaux de
la pédiatrie et non pas de la psychiatrie pour ne pas le stigmatiser.
Enfin, on le rencontre une à deux fois par semaine pendant un mois. On
considère que dans 80 % des cas, les gens ne sont plus en crise
suicidaire après un mois de suivi. Six mois et un an après, on leur
passe un dernier coup de fil. »
Les conséquences de ce suivi sont-elles positives ?
« Nous avons moins de 15 % de perdu de vue. On a
complètement inversé les chiffres. Sur 220 personnes reçues en 2014, il
n’y a même pas eu 3 % de récidive pendant la prise en charge, et aucune
mort par suicide. Nous sommes plutôt satisfaits de ces chiffres. Surtout
qu’il y a de moins en moins de rappels inaboutis, les trois quarts sont
contents qu’on prenne de leurs nouvelles. »
Le fait que le nombre de TS soit moins élevé à
Roubaix que dans la région alors que le taux de chômage est important
est-il lié à l’influence de la religion ?
« À Roubaix, il y a effectivement une sous-mortalité
masculine par suicide. Il y a une théorie de la religion musulmane mais
c’est difficilement vérifiable. La population est plus croyante et, ce
qu’on peut dire, c’est surtout que les individus sont moins isolés dans
la population maghrébine. L’effet est donc positif mais, à l’inverse, la
religion peut aussi considérer le suicide comme tabou. Les gens n’en
parlent pas et ça n’entre donc pas dans les statistiques… Quant au
rapport avec le chômage, il vaut mieux être chômeur à Roubaix plutôt que
dans un endroit où tout le monde travaille, comme au centre de Lille
par exemple. Il y a moins d’impact psychologique, c’est moins
stigmatisant. »