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lundi 15 décembre 2014

Zoum sur « Dépression : la piste de l'origine infectieuse »

Sciences & Prospectives
Dépression : la piste de l'origine infectieuse
Paul Molga / Correspondant à Marseille | Le 15/12 http://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/0204008740750-depression-la-piste-de-lorigine-infectieuse-1074910.php


L'approche thérapeutique traditionnelle de la dépression pourrait être remise en question par des études montrant sa possible origine infectieuse. - Photo Pascal Broze/Reporters-REA


De nouveaux travaux suggèrent que la dépression est peut-être due à un germe latent. Un espoir pour les 20 millions de malades dans le monde.

Et si la dépression était le symptôme d'une infection cérébrale ? C'est le pavé dans la marre que vient de lancer le docteur Turhan Canli, de la Stony Brook University de New York avec un article paru au début du mois dans la revue spécialisée « Biology of Mood and Anxiety Disorders ». Se fondant sur plusieurs dizaines d'études scientifiques, le chercheur suggère que la dépression montre, par certains aspects, des signes cliniques semblables aux agressions microbiennes responsables de diverses infections, et notamment des infections intestinales : fatigue, perte d'appétit, manque de volonté, troubles du sommeil, humeur triste… Dans le pire des épisodes dépressifs, comme dans les infections les plus sévères, les patients peinent à prendre la plus insignifiante décision, se renferment et nourrissent des idées sombres. « L'apparition de ces signes précurseurs peut vouloir dire que le système immunitaire s'active », avance le chercheur sans préjuger de l'impact des facteurs exogènes, à commencer par ceux qui sont relatifs à la situation personnelle du malade.

Une étude, parmi les vingt-huit citées à l'appui de son hypothèse, était passée relativement inaperçue lors de sa publication en 2012 dans le « Journal of Clinical Psychiatry », sans doute parce qu'elle contredisait la théorie chimique généralement admise. Elle constate que la contamination par un certain parasite présent sous une forme latente chez 20 % de la population - le protozoaire Toxoplasma gondii, agent de la toxoplasmose -, est corrélée à une augmentation très significative (jusqu'à sept fois plus) du risque de tentative de suicide chez les personnes infectées. Et, plus étonnant encore, que les propriétaires de chats, porteurs naturels du germe, sont surreprésentés au sein des dépressifs sévères.
Inefficacité des antidépresseurs

Ces résultats abondent dans le sens d'autres expériences similaires, mises en évidence par Turhan Canli : par exemple, l'influence du microbiote intestinal sur nos humeurs, le rôle que joue l'herpès dans la dépression ou encore la présence des mêmes bactéries chez les patients dépressifs et ceux qui sont victimes d'infections inflammatoires intestinales.

En septembre, des chercheurs de la Wayne State University (Michigan) mettaient également en doute la théorie communément admise, dans une étude publiée par la revue « ACS Chemical Neuroscience » où ils s'étonnaient de l'inefficacité des antidépresseurs. « Deux tiers des patients traités par les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), comme le Prozac, censés ramener les niveaux de cette hormone à la normale, continuent de se sentir déprimés », rappelait l'auteur de l'étude, Donald Kuhn, à l'appui de ses conclusions.

Pour comprendre pourquoi, il a donné naissance en laboratoire à des souris incapables de produire de la sérotonine et observé leurs réactions. « Elles sont compulsives et agressives mais ne montrent aucun signe dépressif, même dans une situation de stress, constate-t-il. Mieux : les antidépresseurs n'ont pas plus d'effet sur elles que sur des souris normales. »

L'approche thérapeutique traditionnelle de la dépression est en grande partie fondée sur la certitude d'une relation de cause à effet : comme les antidépresseurs améliorent l'humeur en augmentant le niveau de sérotonine dans le cerveau, on en déduit que la dépression est le résultat d'un déficit de cette hormone qu'on sait indispensable à la maîtrise de soi et à la régulation de fonctions comme la température, le sommeil, l'appétit ou la douleur. Avec d'autres neurotransmetteurs comme la dopamine, la sérotonine joue, en effet, un rôle central dans l'équilibre de la machine corporelle en évaluant le niveau d'alerte des stimuli sensoriels pour enclencher en conséquence les mécanismes de réaction chimique adéquats.

En 2010, la découverte de plusieurs types de neurones libérant de la sérotonine a fait vaciller cette certitude, suggérant que des niveaux de sécrétion élevés pouvaient aussi bien accroître le stress qu'améliorer l'humeur, selon les régions du cerveau où la sérotonine s'accumulait. Dans une étude sur les rongeurs, l'équipe du professeur Gina Forster, de l'université du Dakota, a ainsi montré qu'un apport de sérotonine pouvait générer deux types de réactions antinomiques : une sensation d'apaisement ou un comportement réflexe comme la peur. « Cela explique sans doute pourquoi des patients sous antidépresseurs se plaignent d'anxiété et de pensées suicidaires », pense le professeur.

La sérotonine n'est pas le seul messager impliqué dans le circuit neurologique qui gouverne nos émotions (lire ci-contre). L'Inserm, associé à six laboratoires dans le projet européen Devanx centré sur l'étude de l'anxiété, a également révélé le rôle d'autres agents clefs comme l'acide gamma-aminobutyrique (ou Gaba). Ce neurotransmetteur est le plus répandu dans le système nerveux central (il est présent dans près de 40 % des synapses de notre cerveau), où il contribue notamment à diminuer l'activité nerveuse des neurones sur lesquels il se fixe. Certains chercheurs pensent qu'il servirait, entre autres, à nous calmer en contrôlant la peur ou l'anxiété qui se manifeste par une hyperactivité cérébrale. Leur hypothèse est renforcée par le fait que les anxiolytiques de la famille des benzodiazépines (Valium, Librium…) se fixent précisément sur les mêmes récepteurs que le Gaba. S'ils parviennent à comprendre ces mécanismes de liaison, ils espèrent pouvoir stimuler naturellement la production de neurotransmetteur.

L'application pratique de tous ces travaux ? Elle est peut-être moins éloignée qu'on ne le croit. Au Canada, les premières expérimentations de « psycho-neurothérapies » ont démarré. La méthode doit permettre aux patients dépressifs, avec un entraînement adapté, de rééquilibrer seuls leur juste niveau de neurotransmetteurs.
Paul Molga
Les six neuro-transmetteurs qui régulent notre cerveau

L'acétylcholine
Ce messager chimique dont la quantité diminue avec l'âge favorise le stockage des informations en mémoire et intervient dans le contrôle des mouvements réflexes comme le pouls.
L'adrénaline
Ce messager prépare l'organisme à faire face au stress : il augmente la pression sanguine, la force de contraction musculaire, la capacité respiratoire, dilate les pupilles et améliore la mémoire. Un taux trop élevé trouble le sommeil et la concentration, et peut conduire à la dépression.
La dopamine
C'est le neuro-transmetteur associé aux comportements exploratoires, à la vigilance, à la recherche de plaisir et au combat. Sa production est ralentie chez les dépressifs.
L'acide gamma-aminobutyrique (Gaba)
Le Gaba est le neuro-transmetteur le plus répandu dans le cerveau où il freine la transmission des signaux nerveux. Il maintient le ballet chimique sous contrôle et favorise la relaxation en limitant les effets de l'anxiété.
La noradrénaline
Elle stimule la réponse du circuit de la récompense pour contrôler notamment la libération des hormones qui régulent la fertilité, la libido et l'appétit. Un taux bas signe une désocialisation.
La sérotonine
Ce messager est utilisé par le cerveau pour fabriquer la mélatonine nécessaire au réglage de l'horloge biologique. Il influence aussi l'activité de certains types de neurones. Chez les dépressifs, son manque est associé à des comportements impulsifs, agressifs, voire suicidaires.
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