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mardi 25 novembre 2014

REACTION ACTU Suicides de policiers : « il faut vraiment s’attaquer aux causes du problème »

Suicides de policiers : « il faut vraiment s’attaquer aux causes du problème »

Pour la psychologue du travail Nadège Guidou, il ne suffit pas de repérer les policiers qui risquent de se suicider. Il faut aussi s’attaquer à certains dysfonctionnements qui rendent malades.
24/11/14 http://www.la-croix.com/Actualite/France/Suicides-de-policiers-il-faut-vraiment-s-attaquer-aux-causes-du-probleme-2014-11-24-1269032

En quoi le métier de policier est-il particulièrement traumatisant ?
Nadège Guidou : C’est d’abord un métier qui expose en permanence à la douleur des autres et à la précarité sous toutes ses formes. Dans le même temps, le risque y est très important. On pense rarement au fait que c’est l’une des seules professions où l’engagement des agents peut aller jusqu’à la mort et où l’on peut être en position de tuer quelqu’un.
Les policiers souffrent-ils aussi de la dégradation de leur image et des conditions de travail ?
Bien sûr. L’image de la police est fortement dégradée dans la population et ce qui est renvoyé aux policiers est extrêmement violent. Les termes de haine et de mépris ne sont pas inappropriés. Cette situation est en totale opposition avec les valeurs qui sous-tendent leur engagement, à savoir, servir la population, protéger les plus démunis, faire appliquer la loi et la justice.
Quant aux conditions de travail, elles participent également de leur mal-être et du manque de reconnaissance qu’ils expriment. Il faut y ajouter l’organisation même de la police. Les policiers ne se sentent pas toujours soutenus par leur hiérarchie, ce qui les place en profonde insécurité : beaucoup estiment qu’en cas de problème sur le terrain, ils seront seuls.
Des mesures pour limiter les suicides de policiers ont déjà été prises dans le passé. Pourquoi ne suffisent-elles pas ?
L’administration a tendance à considérer la souffrance au travail comme un nuage toxique qui planerait au-dessus des gens. Les forts vont résister, les fragiles vont craquer. Donc, pour éviter les problèmes, on mesure les « niveaux de souffrance » (en essayant de repérer les signes de mal-être), on « traite » les souffrants en les désarmant, en envoyant chez le psychologue, le médecin… Puis, on essaye de les réadapter pour qu’ils soient en mesure de reprendre le travail.
On traite les individus, on prend des mesures qui se centrent sur eux. Mais on ne change pas l’organisation qui les rend malades. Il faut concevoir une véritable politique de santé au travail pour prévenir la maladie et non pas seulement soigner.
Comment lutter, alors, contre les suicides chez les policiers ?
Il faut vraiment développer une politique de prévention primaire, c’est-à-dire attaquer les causes de l’atteinte à la santé. Cela revient à questionner l’institution et la place que l’on donne aux agents. Il est nécessaire de leur redonner de la marge de manœuvre, des moyens de reprendre la main sur leur travail et de discuter avec leur hiérarchie.
Ce qui fait la souffrance au travail, ce n’est pas seulement de faire face à des problèmes mais d’être dans l’impossibilité de les résoudre. Les processus sont les mêmes dans n’importe quelle organisation professionnelle. Quand on a le sentiment d’être dans une impasse, cela peut conduire à des solutions extrêmes pour en sortir.