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mardi 25 novembre 2014

LIBAN "Le suicide au Liban, un phénomène-fléau social réversible " CAMPAGNE DE PREVENTION

Le suicide au Liban, un phénomène-fléau social réversible
24/11/2014 http://www.lorientlejour.com/article/897535/le-suicide-au-liban-un-phenomene-fleau-social-reversible.html


Le rocher de Raouché, symbole de suicides au Liban, a été choisi il y a quelques mois pour le lancement d’une campagne nationale contre les suicides.

Se supprimer alors qu'on a encore la vie devant soi reste non seulement une énigme pour l'entourage d'une personne qui vient de se suicider, mais un sujet difficilement abordable. Selon les statistiques du département de psychiatrie et d'Embrace de l'AUBMC, une personne se suicide tous les trois jours au Liban. Cause de décès évitable, la prévention ne devient-elle pas un enjeu majeur de santé publique ?
Marlène AOUN FAKHOURI | OLJ


À travers le monde, le suicide tue plus que les guerres, les actes de terrorisme et les homicides. Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), huit cent mille personnes mettent fin à leurs jours chaque année: environ une personne toutes les quarante secondes.

Le Liban est particulièrement touché. L'Orient-Le Jour mène l'enquête. «Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux, c'est le suicide. Et il n'y a vraiment qu'un problème psychiatrique vraiment tabou, c'est le suicide», disait Camus. Les spécialistes de l'association Embrace pour la lutte contre le suicide estiment, dans une étude qu'ils ont fait paraître récemment, à 15% le nombre de jeunes Libanais(es) de 13 à 15 ans ayant sérieusement envisagé de se donner volontairement la mort au cours des douze derniers mois, ou ayant tenté de passer à l'acte. Ce passage fatal à l'acte interroge nos conceptions de la vie, notre environnement social, les relations entre générations. À l'heure actuelle, il est regrettable de constater que le taux de suicide demeure aussi élevé, notamment chez les jeunes. Quelles raisons peuvent pousser un être à avoir plus peur de la vie que de la mort? Cette situation alarmante n'est-elle pas la marque d'un profond malaise, d'une maladie qui remue notre société de fond en comble et détruit les plus faibles? Comment comprendre une tentative de suicide? Le point avec le Dr Sami Richa, chef du service de psychiatrie à l'Hôtel-Dieu de France.

«Chez les jeunes, la tentative de suicide est souvent impulsive. Elle intervient dans un contexte difficile: conflit avec les parents, conflit amoureux, difficultés scolaires. Ce geste est souvent considéré comme "un appel au secours" qu'il ne faut surtout pas banaliser. Il faut le prendre au sérieux, et apporter le secours demandé», explique le psychiatre. «Dans 90% des suicides, les adolescents ont tenté de parler de leur mal-être, de mettre en garde leur entourage, d'interpeller leurs proches. Mais le message n'est pas passé, par manque de communication ou de disponibilité», ajoute-t-il, avant de recommander: «Il convient donc d'être attentif à ces signaux éventuels et de les prendre au sérieux, savoir écouter un jeune qui exprime des signes de détresse, l'encourager à parler en confiance et l'orienter efficacement.»

Chez les personnes plus âgées, le geste est plus prémédité, selon le Dr Richa qui précise à ce sujet: «Ce geste est aussi lié à des difficultés personnelles: divorce, dépression sévère, difficultés professionnelles. C'est un acte préparé, planifié. La personne s'isole avec un moyen hautement létal, et fait en sorte de limiter l'arrivée des secours. L'intention de mourir est très forte. Toujours est-il que le geste suicidaire n'a pas pour objectif la recherche de la mort, mais plutôt celui d'échapper à une souffrance devenue intolérable. C'est un isolement progressif, où les idées de suicide deviennent de plus en plus fortes, et les solutions pour sortir des problèmes de moins en moins nombreuses, jusqu'au passage à l'acte.»

Difficultés ou maladies

À la question de savoir quels sont les facteurs de risque, le psychiatre indique qu'«il existe une vulnérabilité spécifique chez certaines personnes». «Bien sûr, on retrouve dans toutes les tentatives de suicide des difficultés interpersonnelles, des problèmes sociaux, financiers (crise économique...) ou encore judiciaires, précise-t-il. Mais le plus souvent, le risque est lié à une maladie psychiatrique: dépression, anxiété, mis à part le problème de dépendance à la drogue ou à l'alcool. Heureusement, toutes les personnes dépressives ne font pas des tentatives de suicide. C'est pour cette raison que nous pensons qu'il existe une vulnérabilité, une prédisposition spécifique due à des facteurs biologiques, génétiques et personnels», estime-t-il. Et le Dr Richa de souligner la nécessité de la vigilance, car près de la moitié des «suicidants» récidivent, selon lui, «d'où l'importance de s'assurer que la personne est bien prise en charge, et de la protéger du contexte qui l'avait amenée au passage à l'acte».

Prévenir un acte suicidaire ?

«Le suicide n'est pas une fatalité, alors que de nombreuses personnes pensent à tort qu'il n'y a rien à faire pour les personnes suicidaires», poursuit le psychiatre qui développe l'état d'âme d'une personne souffrant de dépression. «S'il y a une dépression, il faut la soigner, relève le Dr Richa. Il faut être vigilant face à quelqu'un qui en parle, l'aider, être à l'écoute et l'amener à consulter, à accepter un suivi. La dépression est une véritable maladie qui peut être combattue, à condition d'être diagnostiquée. Ce que vit le malade est extrêmement pénible : il a le plus souvent l'impression de stagner dans un univers glacial, insécurisant, sombre et presque irréel. Il garde le plus souvent une perception du monde extérieur, mais rien ne peut le détourner de sa souffrance. Il se sent paralysé, anesthésié psychiquement, affectivement et physiquement. Il se sent et se sait différent, s'en veut, en a honte, culpabilise et souffre.»

«Accepter sa dépression et consulter reste une démarche difficile», estime le Dr Richa, qui indique que «50 à 60% des dépressifs ne sont pas traités, ou sont mal traités». Des chiffres inquiétants, «surtout quand on sait que la dépression affecte aussi largement l'entourage proche du malade». «Mais les gens consultent toujours très tard, déplore le psychiatre. Le plus souvent parce qu'ils ont honte et n'osent pas rompre le silence, parce qu'ils ignorent que 20% de la population est sujette à des troubles psychiques, plus précisément à des dépressions, au moins une fois dans la vie.» «Il est très difficile de reconnaître que l'on peut craquer nerveusement, qu'on a les nerfs qui lâchent», ajoute-t-il.

«Mais ce que beaucoup prennent pour une faiblesse n'est autre qu'une maladie qui peut toucher tout le monde. Sauf qu'il s'agit d'une maladie psychique, "un tabou", et cela fait peur. Une maladie physique rassurerait presque, car bon nombre de gens pensent que l'on peut poser un diagnostic, identifier la bactérie, la tumeur, le microbe, définir le traitement et enrayer le mal. Une maladie physique, on peut parfois la voir, sur les radios ou au scanner. Pas la dépression, pas l'angoisse: elles sont impalpables et restent au niveau d'un concept que l'on subit. La dépression n'est pas objectivable. Aucun examen paramédical ne permet de prouver qu'il y a une dépression. Et pourtant, plus on la soigne tôt, plus rapide sera la guérison. Un état dépressif aigu peut guérir dans 80% des cas. De nos jours, un traitement bien adapté, un solide suivi psychothérapique, une "bonne dose d'amour" et d'écoute permettent d'atténuer les effets ravageurs de la dépression, notamment quand il y a des comportements à tendances suicidaires, puis de la guérir en quelques semaines», affirme le spécialiste.
Voir aussi Embrace, pour mieux comprendre les maladies mentales


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Liban 
II - Embrace brise le silence et les tabous dans sa lutte contre le suicide
Selon le Dr Ziad Nahas, le suicide est évitable.
http://www.lorientlejour.com/article/897786/ii-embrace-brise-le-silence-et-les-tabous-dans-sa-lutte-contre-le-suicide.html
 
Société
Le suicide est un fléau, mais pas une fatalité. Une association a décidé de prendre le taureau par les cornesMarlène AOUN FAKHOURY | OLJ  25/11/2014

Agir ensemble contre l'isolement, la solitude, la dépression, le suicide, tel est le défi majeur de l'association Embrace qui, en étroite collaboration avec l'AUBMC (Centre médical de l'Université américaine de Beyrouth), a mené une enquête auprès de jeunes étudiants et lancé récemment une première et importante campagne de sensibilisation dans le but d'attirer l'attention de la population sur l'ampleur de la problématique du suicide des jeunes, tout en l'outillant pour faire face au risque suicidaire .
« Le suicide est un sérieux problème de santé publique qui touche toute la communauté », déclare le Dr Ziad Nahas, président du département de psychiatrie de l'AUBMC, également fondateur et président de l'association Embrace. « Le phénomène est présent partout dans le monde et touche des individus à n'importe quel âge. C'est aussi la deuxième cause de décès chez les jeunes entre 15 et 29 ans. Sur une vingtaine de personnes qui tentent de mettre fin à leur vie, une seule en meurt. Dans son dernier rapport sur la lutte contre le suicide, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a signalé 43 décès survenus au Liban en 2012 alors que 107 cas ont été officiellement recensés dans les registres libanais. Force est de constater dès lors que dans notre société, une personne se suicide tous les trois jours !

Toutefois, les experts pensent fermement que ce chiffre ne correspond pas au nombre exact de tentatives, soigneusement camouflées pour des considérations d'ordres social, religieux et juridique », explique le psychiatre. Par ailleurs, des études récentes menées par le département de psychiatrie à l'AUBMC mettent l'accent sur le taux élevé d'idées suicidaires chez les jeunes et soulignent l'urgence de lutter contre ce phénomène, de mieux le prévenir. « Le suicide est évitable, insiste le Dr Nahas. 90 % des cas sont le résultat d'une pathologie mentale. La majorité de ceux qui passent à l'acte sont atteints de troubles psychiques curables (dépression, usage de drogue, dépendance à l'alcool, schizophrénie...). Selon les données de terrain depuis le début de 2014, on estime que le taux de suicide augmentera de 25 % par rapport aux années précédentes. »
« Tous ceux qui se suicident ne veulent pas mourir effectivement, ils se donnent la mort car ils souffrent tellement que la vie leur devient insupportable », signale-t-il. Selon le Dr Nahas, au Liban, « une personne sur quatre souffre d'un trouble mental, mais seule une minorité accepte de le reconnaître et de suivre un traitement ».
Le psychiatre considère que « l'État devrait agir au niveau de la prévention ». « Le suicide n'est pas uniquement le problème du suicidé, mais aussi celui de toute la société, de l'État, de la structure politique, économique et sociale dans un pays, d'où la nécessité de l'adoption d'un programme adéquat pour la prévention contre le suicide. »

« Bien sûr que je me réveillerai »
« En parler, c'est recommencer à vivre ! » poursuit le Dr Nahas. « Embrace brise le silence, le tabou et s'engage à travers sa campagne nationale à informer, à sensibiliser le grand public afin de faire face à "ce fléau", de venir en aide aux personnes les plus vulnérables ainsi qu'à leurs proches, de solliciter des fonds pour couvrir les frais des traitements psychiatriques pour les maladies sévères et secondaires qui ne sont pas couvertes par les assurances au Liban », explique le Dr Nahas avant de souligner que « la campagne de prévention contre le suicide a été axée d'abord sur la conception et la diffusion d'un important matériel de sensibilisation et de communication : un spot télévisé avec le ministre de la Santé publique, Waël Bou Faour, des panneaux publicitaires, des affiches ».

Elle a ensuite tablé sur l'organisation d'événements publics pour « une prévention plus visible et pour rappeler qu'un Libanais tente de mettre fin à sa vie tous les trois jours. "Akid ra7 fee2" (Bien sûr que je me réveillerai) était le titre de la campagne menée pour encourager le public à participer à la marche qui a eu lieu il y a quelques mois, à 5 heures du matin, sur la corniche surplombant le rocher mythique de Raouché. Ce titre a été choisi non seulement parce que la marche était trop matinale, mais aussi parce que c'était l'aube d'une nouvelle vie. Les fonds recueillis seront destinés au financement d'une "hotline" pour venir en aide aux personnes qui songent au suicide et qui cherchent d'autres solutions que la mort pour surmonter leurs problèmes ».

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Le suicide au Liban, un phénomène-fléau social réversible 24/11/2014 http://www.lorientlejour.com/article/897536/dans-leglise-catholique-les-suicides-des-personnes-dans-la-detresse.html

Dans l’Église catholique, les suicidés, des personnes dans la détresse
Père Richard Abi Saleh : Le suicide est aussi inacceptable que l’homicide. OLJ
«Le suicide est l'acte délibéré de mettre fin à sa vie. C'est un acte d'autodestruction. L'Église le condamne car la vie est un don gratuit de Dieu concédé à l'homme.» En quelques mots, le père Richard Abi Saleh, curé de la paroisse Saint-Maron, à Gemmayzé, résume la position de l'Église catholique par rapport au suicide.
«Dieu est le maître de la vie et de la mort. La vie humaine est sacrée et l'homme ne peut détruire ce qu'il n'est pas capable de créer. Elle est une valeur en soi, indépendante de toute contingence. Ainsi, le suicide, considéré comme péché par l'Église, est aussi inacceptable que l'homicide. Il constitue de la part de l'homme un refus de la souveraineté de Dieu et de son dessein d'amour. Mettre fin à ses jours, du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu'il comporte le refus de l'amour envers soi-même, bien que certains conditionnements psychologiques, culturels et sociaux puissent pousser à ce geste qui contredit l'instinct inné de chacun à la vie », explique père Abi Saleh. « Pendant longtemps, l'Église catholique a refusé les obsèques religieuses aux personnes suicidées. Actuellement, les choses ont changé», signale-t-il.
«L'Église se considère interpellée par les suicides. Nous, les vivants, nous sommes alors mis ou remis devant le mystère, c'est-à-dire la réalité profonde de cette personne qui, à un certain moment, a accompli l'acte suicidaire pour des raisons qui nous dépassent et qui la dépassaient sans doute elle-même: incapacité de faire face à des difficultés insurmontables, un sentiment écrasant d'indignité ou de culpabilité, des brisures personnelles et familiales, et bien d'autres
situations dramatiques », poursuit le père. Les suicidés, dès lors, peuvent être admis aux funérailles religieuses. Ce qui ne signifie nullement, selon père Abi Saleh, une approbation du suicide, « mais plutôt l'expression d'une difficulté à discerner les motivations qui ont poussé à un tel acte ainsi qu'à en mesurer le degré de responsabilité, et le désir de confier celui qui l'a commis à la miséricorde de Dieu. Aujourd'hui, l'Église parle essentiellement des suicidés comme de personnes "dans un état de détresse".»
«Ce changement d'attitude montre bien que le développement de la psychiatrie a pu modifier le jugement qui était porté sur eux. C'est bien pourquoi l'entourage d'une personne suicidée ne cesse de s'interroger sur sa part de responsabilité par rapport à l'acte. La société se doit de se préserver de la mort, de lutter contre ce qui la cause. C'est son devoir, ainsi que celui de l'Église, plus précisément à une échelle pastorale, de fortifier dans l'individu le désir de vivre. De ce point de vue, le suicide est un échec de la société et de l'Église. D'où la nécessité de mobiliser toutes les énergies, toutes les institutions pour supprimer l'envie du suicide. La question qui demeure est de savoir ce qui peut donner l'envie de vivre, de s'accrocher; ce qui peut donner de la valeur et du sens à la vie, pour que l'élan vital l'emporte sur le pessimisme, la morosité et le désespoir», conclut le père Abi Saleh.