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lundi 28 octobre 2013

Sur le suicide dans les universités chinoises


L’étrange vague de suicides dans les universités chinoises






Jeunes diplômés de l'université de Shanghai (Reuters/Aly Song)



Victimes des pressions sociales et familiales, de plus en plus de jeunes Chinois se suicident pendant leur scolarité. Et le phénomène s’amplifie d’année en année.



Attention, danger de mort. Au City College of Dongguan University of Technology, les étudiants sont prévenus : poser un premier pied à l’université, c’est encourir le risque de craquer, disjoncter et se tuer. Un risque contre lequel l’établissement s’est protégé dès le mois de septembre en demandant à ses nouveaux étudiants de signer une clause de “non-suicide”, inscrite dans un “accord de gestion et d’autodiscipline”. Légal, ce contrat permet à l’université de se décharger de toute responsabilité juridique et financière en cas de suicide. Pour les employés de l’université, rien d’alarmant, il s’agirait d’un “simple code de conduite dans les dortoirs”. Bien moins sereine, Maman Li, dont le fils est en première année, confie au Times : “Je pense que ce genre d’accord est injuste. (…) L’école devrait fournir des services de conseil aux étudiants au lieu de se dédouaner de ses responsabilités.”
Pour Rémi, 23 ans, tout juste rentré de cinq années d’études à l’université de Hainan, rien d’étonnant : “Tous les ans dans ma fac, il y avait une histoire glauque de suicide. Il y en a qui craquent et déconnectent total.” Etranglés par la pression, les étudiants seraient de plus en plus nombreux à passer à l’acte. Dès 2010, tianya.cn, l’un des blogs chinois les plus populaires, tient le décompte : “31 janvier, 14 h, une fille de 21 ans s’est pendue dans son lit avec une serviette, a laissé une note de suicide, problèmes émotionnels (…), 2 mars, université de Hong Kong, jeune homme, 23 ans, retrouvé pendu dans un bâtiment de Hoi Yuen (…), 28 mars, université forestière de Nanjing, une étudiante retrouvée pendue dans le dortoir pour filles, stress…” De page en page, les cas désespérés se succèdent.
“Tiger mum”
Dès la naissance, chaque Chinois est lancé dans une course effrénée à la performance. Bousculé par sa “tiger mum”, ces mères-tigresses qui misent tout sur leur enfant – une restriction démographique imposée à partir de 1979 par la politique de l’enfant unique –, il travaille nuit et jour. Xhang, un graphiste venu en France pour intégrer les Beaux-Arts, raconte : “La Chine, c’est pas la France, vraiment pas. Ici, l’école est très facile. En Chine, on a beaucoup de travail, beaucoup de devoirs. On travaille tout le temps, tous les jours, tous les soirs, sans aucun moment de répit.”
Et à partir de 13 ans, il faut être le premier de la classe pour espérer intégrer une université. En commençant par obtenir l’équivalent du baccalauréat, infiniment plus difficile qu’en Europe. Les amis chinois de Rémi, jusqu’à 18 ans, ne “font que préparer le bac, en travaillant les maths et encore les maths. Une fois qu’ils l’ont obtenu, ils ont perdu le contact avec la réalité. En France, à 19 ans, t’es un adulte, là-bas, pas du tout. A l’université, il y en a qui lâchent, perdus et seuls, sans pouvoir jamais rien dire à leur famille. Impossible de reconnaître un échec.” Un manque de communication qui oppresse et stresse.
La peur de l’échec
Dans une société hyper individualiste et méritocratique au sens le plus brutal qui soit, les fossés générationnels condamnent au mutisme les étudiants en échec : “Pour les aînés, victimes de la révolution culturelle, la jeunesse chinoise d’aujourd’hui est constituée d’enfants gâtés. Ils n’ont pas connu le communisme, la pauvreté, la famine, la répression… Ils ont juste à faire des efforts scolaires”, explique Stéphanie Balme, chercheuse et professeure à Sciences-Po et auteur de La Tentation de la Chine – Nouvelles idées reçues sur un pays en mutation (Le Cavalier bleu).
En fin de parcours, le piège anxiogène se resserre. “L’angoisse de la jeunesse universitaire aujourd’hui, c’est de trouver un poste à la fin des études. Il y a trente ans, tout était pris en charge par l’Etat, qui leur trouvait un emploi à la sortie de l’université”, souligne Marianne Bastid-Bruguière, directrice de recherche au CNRS. A Shanghai, seuls 30 % des jeunes issus des promotions 2013 ont trouvé un emploi. Dans son journal intime, publié en 2009 par le Telegraph, une jeune étudiante chinoise écrit, avant de se suicider : “Je suis à l’université mais je ne trouve pas de travail. Quelle honte quand je devrai rentrer au village une fois diplômée… Je suis fatiguée. (…) Pourquoi tout est-il si difficile ?”
Olivia Muller
Contexte :
Avec près de 287 000 morts par an -–et quatre tentatives chaque minute –, la Chine enregistre un quart du total des suicides dans le monde. C’est la première cause de mortalité chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Des milliers de jeunes Chinois subissent une pression psychologique trop forte due aux études, à l’emploi ou aux relations amoureuses. C’est ce que révèle, dès 2009, une étude de la Shanghai Education Commission.