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jeudi 3 octobre 2013

INDRE : le réseau Etre-Indre prévention des risques suicidaires chez les personnes âgées


"Nous entendons souvent des propos suicidaires le vendredi soir"


Christine Moreau coordonne le réseau Etre-Indre, qui aide les professionnels intervenant auprès des personnes âgées à détecter les risques suicidaires. Interview.


Cette semaine a été mis place un Observatoire national du suicide. Cet organisme, dont la création été réclamée dès 2011 par 44 spécialistes, notamment leur permettre d'obtenir des données précises sur cette problématique, au sujet de laquelle la France affiche un des taux les plus élevés d'Europe.
Christine Moreau est infirmière et coordinatrice du réseau Etre-Indre (dans l'Indre), une équipe pluridisciplinaire (gériatres, infirmières, psychologues) visant à aider les professionnels intervenant en maison de retraite ou à domicile auprès de personnes âgées, susceptibles de présenter un risque de dépression ou de suicide. "Le Nouvel Observateur" l'a questionnée.
Parmi les suicides survenus dans l'Indre, quelle part représentent les personnes âgées ?
- Nous avons eu sur la région Centre 550 décès par suicides en 2012. Sur notre département, 53. On tourne chaque année autour de 50. Sur ces 50, nous avons eu en 2012 un tiers de personnes dites âgées, soit au-delà de 65 ans, et des personnes très âgées, qui ont plus de 90 ans, et passent à l'acte à l'aide de moyens parfois très violents.
En quoi consiste votre action auprès des professionnels ?
- Nous menons des actions de sensibilisation à la prévention de la dépression et au repérage du risque suicidaire pour tout le personnel du secteur : aides-soignants, médecins, infirmières, mais pas seulement. Dans une maison de retraite, les personnes s'occupant du jardin, de la lingerie ou de la cuisine doivent aussi être sensibilisées. Moins débordées, elles peuvent avoir un contact privilégié avec les personnes âgées, certaines les considèrent comme des confidents. 
Notre objectif est d'expliquer la réalité du suicide autant que faire se peut, en fonction des chiffres, des tranches d'âge, des catégories socio-professionnelles et des situations objectives des personnes. On aide aussi les professionnels à être vraiment à l'écoute, à ne pas éluder leurs paroles. Quelqu'un qui dit "j'en ai marre, je suis au bout du rouleau", on ne lui répond pas "demain ça ira mieux" ou "mais si, ça va s'arranger". On ne change pas non plus de conversation. Une partie de notre travail consiste aussi à lever les tabous et à combattre les idées reçues.
A quelles idées reçues êtes-vous amenée à être confrontée ?
- On entend souvent, par exemple, de la part de la population et de professionnels "quand une personne dit qu'elle va se suicider ça veut dire qu'elle ne va pas le faire." Cette phrase assassine fait beaucoup de dégâts car, contrairement à sa réputation, face à quelqu'un qui évoque son suicide et peut aller jusqu'à décrire comment il va s'y prendre, etc... on a 9 risques sur 10 qu'il passe à l'acte.
Autre idée reçue : "Monsieur ou Madame Untel ne se suicidera pas parce que ses enfants viennent toutes les semaines, il ou elle est très entouré(e), il ou elle a les moyens, donc il n'y a pas de raison qu'il ou elle se suicide." Dans ces cas-là, ceux qui sont dans l'entourage d'une personne, professionnels ou non, s'arrogent le droit de juger du fait qu'il y a ou non un risque à partir de ce qu'ils savent. Et comme on sait très peu de choses et qu'on en parle très peu – ce qui va peut-être commencer à changer - il se dit et se fait beaucoup d'erreurs.
Encore un exemple d'idée reçue : "Quand on est vieux c'est normal d'être triste" parce que souvent on est veuf, parce quelquefois on a perdu un enfant,... C'est vrai que c'est plus triste que d'avoir encore son enfant ou son compagnon mais, pour autant, le passage à un état dépressif ou de risque suicidaire est qualitativement différent d'un état de tristesse lié à un deuil. Une plus grande partie de soi est en question, détruite ou susceptible de l'être.
Etes-vous susceptibles d'intervenir en cas de problème ?
- On se tient prêts à intervenir. Nous avons souvent des menaces de personnes tenant des propos suicidaires le vendredi soir. C'est d'ailleurs arrivé pas plus tard que vendredi dernier avec une personne de 74 ans. Parce qu'être à domicile le week-end peut être encore plus dur à vivre que les jours de la semaine. Et en établissement, le personnel est moins nombreux et on voit les autres résidents recevoir leurs visites et pas nous. L'isolement est un facteur très important de dépression. 
Quel impact de la crise avez-vous pu récemment constater ?
- Dans notre département, ces dernières années, la tranche âge des personnes les plus concernées par le suicide qui a le plus augmenté est celle des 45-60 ans, et non celle des personnes âgées. Cette tranche des 45-60 ans est confrontée à la difficulté à retrouver un travail car elle est trop âgée, et trop jeune pour être à la retraite, qui s'éloigne de plus en plus. Elles se retrouvent parfois dans des situations sans solution.
Qu'attendez-vous de la mise en place de cet Observatoire national du suicide ?
- C'est une étape qui va au moins permettre de nommer les choses. Le suicide existe, les morts par suicides existent, y compris pour les personnes âgées. Ce qui est loin d'être une évidence pour tous.  
Propos recueillis par Céline Rastello - Le Nouvel Observateur