Pages

lundi 19 août 2013

PRESSE DEBAT "il crée un site web d'adieu pour son suicide"



Martin Manley crée un site web d'adieu pour son suicide
Il voulait écrire «la lettre d'adieu la plus détaillée de l'histoire», mais son dernier vœu, qu'on se souvienne de sa vie plutôt que de son suicide, ne risque pas d'être exaucé.
Par Will Oremus | publié le 17/08/2013 à 12h42, mis à jour le 17/08/2013 à 17h58
http://www.slate.fr/life/76552/lettre-adieu-suicide-detaillee-site-web-martin-manley

Capture d'écran du site de Martin Manley
Martin Manley, un ancien journaliste sportif et statisticien pour le Kansas City Star, s'est suicidé à 60 ans, et a laissé derrière lui un site web méticuleusement minutieux, expliquant virtuellement chaque aspect de sa décision.
Cette affaire est notable pas tant parce que Martin Manley était une personnalité semi-publique –même s'il a été crédité pour avoir popularisé le système d'évaluation des joueurs de basket de la NBA– mais parce qu'il a utilisé la technologie pour exploser de façon intentionnelle le mur de vie privée qui entoure généralement les suicides.
publicité
Chaque jour, plus de 100 personnes meurent d'un suicide aux Etats-Unis en moyenne [plus de 28 personnes en France NDT], et une partie importante d'entre elles laisse des lettres à leurs amis et leur famille.
Certaines lettres sont vindicatives, d'autres désolées, d'autres encore sont incroyablement cryptiques. Quoi qu'il en soit, la plupart est lue seulement par un cercle restreint de forces de l'ordre et des êtres aimés.
Pour Martin Manley, confronter ses amis et sa famille à sa mort n'a pas suffi. Il voulait y confronter le grand public. Il voulait désespérément justifier sa propre vie et mort –auprès du reste de la planète, mais peut-être par dessus tout auprès de lui-même.
Et donc, d'après son site web, Martin Manley a prépayé Yahoo pour cinq années d'hébergement, a construit un site de suicide tentaculaire, et a mis en ligne un dernier billet sur son blog sportif ce jeudi 15 août avec un lien vers le site. Puis, d'après le Kansas City Star, il s'est tué devant un commissariat de la ville d'Overland Park. C'était le jour de son soixantième anniversaire.
Sur son site, qui a vite circulé sur les réseaux sociaux, Martin Manley a écrit qu'il voulait créer «l'exemple le plus détaillé de l'histoire d'une lettre d'adieu». Il a écrit:
«Après votre mort, on peut se souvenir de vous au travers d'une nécrologie de quelques lignes dans un journal, quand vous êtes trop vieux pour importer à quiconque de toute façon... OU ALORS on peut se souvenir de vous pendant des années grâce à un site comme celui-ci. C'était mon alternative, et j'ai choisi ce qui me paraissait évident.»
Ensuite, il a expliqué les raisons de son suicide, cherchant –du moins au début– à le dessiner comme la décision hautement rationnelle d'un homme qui a vécu sa vie «contenté jusqu'à la dernière minute» et souhaitait simplement quitter la planète comme il le voulait:
«Les raisons principales pour lesquelles les adultes se suicident –la santé, les problèmes judiciaires, financiers, la perte d'êtres aimés, la solitude ou la dépression... aucune de ces raisons ne sont pertinentes dans mon cas et, pour la plus grande partie de ma vie, elles ne l'ont jamais été.»
Sa raison principale pour se tuer: il était terrifié par la vieillesse.
N'idéalisez pas sa décision
Dans des dizaines d'essais sur son site, Martin Manley a réfléchi sur tout depuis la religion au contrôle des armes à feu en passant par ses histoires d'amour et son affection pour les fedoras. Certaines de ses pensées sont profondes, d'autres prosaïques. Je ne les ai pas toutes lues. Ça prendrait des heures. Mais j'en ai assez lu pour voir qu'il était plus seul et moins sûr de sa décision qu'il ne voulait le faire croire.
Ses parents sont morts, il n'avait pas d'enfants et il ne voulait pas «mourir seul». Un passage étrange où il a posté ce qui ressemble aux coordonnées GPS d'un tas de pièces en argent et en or –déclenchant une chasse au trésor macabre et finalement infructueuse ce jeudi– renforce l'impression qu'il était un homme qui cherchait à être important. Beaucoup des photos sur son site web semblent être des «selfies».
Personne ne devrait avoir une vision romantique de la décision de Manley de se tuer. Un homme clairement intelligent et réfléchi est mort, ceux qui le connaissaient sont probablement affligés par la douleur, et le fait qu'il a publié un site web rationnalisant sa décision ne va rien y changer.
D'un document privé à un évènement public
Mais son auto-mémorial élaboré dessine un spectre dérangeant dans cette ère des réseaux sociaux: la transformation de la lettre de suicide d'un document privé en sensation publique. Sans Twitter, Facebook, et un Web rempli de blogs qui cherchent la page vue, les écrits de Martin Manley auraient bien pu restés dans l'obscurité.
Son désir de dire tout ce qu'il voulait dire au monde avant de mourir est compréhensible. Mais il semble clair que sa capacité à le faire –la chance de partir en faisant sensation et en se rendant célèbre– a facilité sa décision de se tuer. Le risque est que cette capacité ait le même effet pour d'autres, y compris de nombreuses personnes qui ne sont pas aussi saines d'esprit que Manley prétendait l'être.
Nonobstant Manley, le suicide est rarement un acte rationnel. Dans un article de 2003 sur les gens qui se suicident en sautant du pont du Golden Gate, à San Francisco, le New Yorker a parlé à plusieurs personnes qui ont survécu et leur a trouvé un point commun déchirant: les sauteurs avaient tendance à regretter leur décision en plein vol.
Il n'aura pas son dernier voeu
Un des objectifs de Martin Manley en publiant un site web de suicide était d'assurer à tout le monde qu'il ne regrettait pas sa décision. On ne saura jamais si cela a changé au moment où il a appuyé sur la détente.
Mais on peut supposer qu'un de ses derniers voeux ne sera pas respecté:
«Ce que j'espère à long terme, c'est qu'on se souviendra de ma vie et que le suicide ne sera qu'une asterisque, une note de bas de page.»
Malheureusement, l'inverse est beaucoup plus probable.
Will Oremus
Traduit par Cécile Dehesdin