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jeudi 10 mai 2012

prise en charge de la douleur en santé mentale

Santé mentale. «Avoir le corps en tête»

9 mai 2012 - sur quimper.letelegramme.com/

La prise en charge de la douleur, physique et pas seulement psychique, investit progressivement le champ de la santé mentale. À l'hôpital Gourmelen, à Quimper, des professionnels s'ingénient à faire évoluer les pratiques.
«La plupart des douleurs sont simples et facilement curables. Seulement, dès que ça devient complexe, le patient s'engage dans un parcours du combattant difficile», note le médecin généraliste William Fromentin, qui travaille en gériatrie. Or «nous sommes en retard, dans la prise en charge de la douleur en santé mentale. Parmi nos collègues, certains continuent d'effectuer ce clivage entre douleur physique et psychique. Nous souhaitons faire reconnaître que la douleur est la douleur d'un sujet dans son entier, il n'y a pas à morceler les choses», insiste la psychiatre Annie Bléas. C'est dans ce sens, d'un repérage et d'un traitement pluridisciplinaire de la douleur, que travaille le comité de lutte contre la douleur (Clud) créé à l'établissement de santé mentale Étienne-Gourmelen il y a seulement deux ans. Il est en relation avec d'autres Clud d'hôpitaux et cliniques du secteur et une unité spécialisée du centre hospitalier de Cornouaille. Ses acteurs ambitionnent de continuer à former et informer les soignants, de mettre en place un référent douleur dans chaque service de l'hôpital afin d'harmoniser leurs pratiques. Ils vont aussi s'impliquer dans la création d'un comité régional dédié à l'appréhension de la douleur en psychiatrie.

«Des poncifs nuisent à l'évaluation»

Dans leur esprit, il s'agit «de combler le retard» pris dans le traitement de la douleur chez les sujets dyscommunicants, tels les autistes, les psychotiques, les déments ou les personnes âgées. «La douleur est parfois difficile à évaluer et des poncifs professionnels, comme "vieillir c'est souffrir", nuisent à l'évaluation», pointe Annie Bléas. L'équipe du Clud affiche clairement sa volonté de rompre avec d'autres poncifs. Parmi ceux-ci, «on disait que les malades mentaux ne ressentaient pas la douleur, ne l'exprimaient pas. En fait, la plainte se fait entendre autrement chez eux. C'est à cette plainte singulière qu'il faut prêter attention», insiste Annie Bléas, très impliquée depuis vingt ans sur ces questions. «100% des personnes douloureuses chroniques que l'on prend en charge ont ces deux phrases: "On m'a dit que c'est dans la tête" et "J'en ai marre de tout ce chemin des médecins"», rapporte l'infirmière Corinne Vignes. «Ces patients ont mal, disent qu'ils ne sont pas pris au sérieux. Certains se suicident. Ça arrive plusieurs fois par an. Quand ils ne passent pas à l'acte, ils nous disent: "La vie est insupportable, je veux mourir"», signifie Jean-Pierre Maire, un autre infirmier de Gourmelen.

«Toujours avoir ça en tête»

«Les changements d'attitude, les troubles du comportement chez tous les sujets dyscommunicants, s'ils ne sont pas expliqués par autre chose, peuvent être l'expression d'une douleur. Il faut toujours avoir ça en tête», suggère, par ailleurs, William Fromentin. «Il faut, en fait, se placer dans sa propre conception de la douleur. Irritable, énervé ou alors calé dans une position qui soulage sans que vous ayez envie d'en parler à personne. C'est valable chez les déments, les délirants, les psychotiques et sans doute aussi chez les autistes», complète le médecin. «Que la douleur ait une origine organique ou "psychosomatique", elle est réelle et constante. Dire à un patient: ce n'est rien, c'est dans la tête, ça doit être fini!», s'exclame-t-il. «Dans ces tableaux douloureux complexes que l'on n'arrive pas à élucider complètement ? ce n'est pas le cas de tous les douloureux chroniques ?, on s'aperçoit que l'on a affaire à des sujets particulièrement vulnérables. Des sujets qui ont été souvent, dans leur enfance, l'objet de difficultés dans les toutes premières relations de la vie, voire de maltraitance ou négligence, de carences multiples, contre lesquelles le sujet s'est souvent défendu, souvent par hyperactivité», fait remarquer Annie Bléas. «Ces sujets-là, à un moment donné, à l'occasion d'un traumatisme, physique ou psychique, s'effondrent et tombent dans la douleur chronique. Or, on redouble l'impression de maltraitance lorsqu'on leur dit: on ne vous croit pas!» poursuit la psychiatre. «On touche là une considération éthique», considère Pascale Puron, une cadre supérieure de santé de l'hôpital Gourmelen.

«Une médecine lente»

«C'est justement le fait d'avoir entendu leur douleur qui fait qu'un dialogue va s'amorcer. Le patient va dire quelque chose de sa souffrance. Si bien que l'on est souvent amené à entendre des histoires douloureuses, dramatiques», éclaire Jean-Pierre Maire. «C'est une porte d'entrée, qui s'ouvre notamment lorsque le sujet passe de l'hyperactivité à l'inactivité», signalent Pascale Puron et Corinne Vignes. «Ça signifie qu'il faut prendre le temps avec le patient, lors d'entretiens qui peuvent durer plus d'une heure. Peut-être que dans la famille on en a marre d'entendre des complaintes, nous, on peut entendre cela pendant l'hospitalisation et, pour certaines personnes, on continue le suivi sous la même forme d'entretiens longs. C'est une médecine lente», décrit l'infirmière Danièle Duriez.

«Il ne faut pas seulement aller voir, mais aussi entendre»

«La douleur, ça passe par la subjectivité, même avec des échelles d'évaluation de douleurs chroniques ou aiguës qui fonctionnent plutôt bien. Il faut demander au patient de repérer sa douleur. Quand il n'est pas interrogeable, ça passe par la subjectivité de l'interlocuteur», émet la psychiatre Annie Bléas. «Et la douleur n'est repérable que par la plainte que l'on reçoit ou par l'évaluation. Ce qui n'est pas du tout dans le sens habituel de là où va la médecine moderne. Celle-ci tend, quand même, à balayer la question de la subjectivité pour aller voir la transparence de l'être humain, avec une recherche du scopique de plus en plus précise, avec des IRM de plus en plus perfectionnées», estime la spécialiste. «Or, par rapport à la douleur, on est obligé d'entendre et de se forcer à entendre. Ça vient là interroger la médecine moderne dans ses limites. Car il ne faut pas seulement aller y voir, il faut essayer d'entendre le sujet», soutient-elle.

«Qui a mal ne ment pas»

«Ça signifie qu'il faut croire les patients, comme il faut croire les familles et les soignants. Je cite souvent le psychanalyste Paul-Laurent Assoun qui dit "qui a mal ne ment pas". Il est véritablement scandaleux, quand on ne repère pas aux examens cliniques de causes lésionnelles à quelqu'un qui souffre, de dire qu'il n'a pas mal. Il faut le croire. Que l'on ne comprenne pas les causes de sa douleur, parce qu'elle est complexe, oui, mais il faut le croire», certifie Annie Bléas. «Et la douleur particulièrement aiguë est un excellent signal d'alarme d'une pathologie organique sous-jacente, le plus souvent curable. La difficulté en psychiatrie ne doit pas faire ignorer cette possibilité. L'infarctus est douloureux par exemple. Il reste de loin la première cause de mortalité chez les sujets psychotiques», précise William Fromentin. «Il y a quelques dizaines d'années, l'espérance de vie des psychotiques était de plus de dix ans inférieure à celle de la population. Elle commence à raugmenter, grâce aux progrès de la psychiatrie, mais aussi parce que leur pathologique somatique n'est plus totalement sous-diagnostiquée», illustre le médecin généraliste.

source : http://quimper.letelegramme.com/local/finistere-sud/quimper/ville/sante-mentale-avoir-le-corps-en-tete-09-05-2012-1696608.php