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vendredi 27 janvier 2012

INTERVIEW Boris Cyrulnik


Extraits de l'article laprovence.com du 27/01/2012 http://www.laprovence.com/article/actualites/1563132/aix-il-se-suicide-a-12-ans-par-depit-amoureux.html


interview du neurologue, psychiatre, éthologue et psychanalyste (qui a récemment écrit Quand un enfant se donne la mort (aux éditions Odile Jacob)), Boris Cyrulnik.
La Provence : Pourquoi un enfant en arrive-t-il à se donner la mort ?
Boris Cyrulnik : Avant tout, je parlerais d'épisode de 'crise suicidaire', concernant la population des pré-teen, les moins de 13 ans. Dans ces cas, on se trouve en présence d'un enfant qui ne sait pas comment maîtriser une émotion intense. Il existe bien sûr des facteurs de vulnérabilité, comme les carences affectives ou la solitude lors du passage à l'acte. Mais ce n'est pas automatique. L'enfant peut ressentir un profond chagrin , comme un dépit amoureux par exemple, et son passage à l'acte répond avant tout à un besoin de tuer le chagrin, plutôt qu'un besoin de se tuer soi-même.
Un enfant de 12 ans réalise-t-il concrètement ce que sont le suicide et la mort ?
B.C. : Oui, à l'âge de 12 ans, les enfants ont intégré la notion d'irréversibilité. Cette prise de conscience se forge vers 8-9 ans. Mais désespéré et impulsif, un enfant peut passer à l'acte. Les parents sont alors stupéfaits, car il n'y a pas forcément de signe avant-coureur. Il y a une émotion intense, que l'ado ne maîtrise pas, même si la famille est solide et épanouie.
Faut-il justement en parler avec eux ?
B.C. :  Si on ne parle pas du suicide des enfants, c'est honteux. Si on en parle trop, c'est dangereux car cela crée une contagion émotionnelle, donc il faut être très prudent.
Mais certains adolescents sont-ils plus fragiles ? Existe-t-il des prédispositions ?
B.C. : Les études démontrent que ce qui est transmissible, ce n'est pas le suicide, c'est l'émotivité. Pour autant, l'émotivité n'est pas une maladie. On peut alors stopper la transmission en expliquant le suicide.
Et le rôle d'internet dans tout ça ?
B.C. : Je suis ahuri par deux choses opposées. D'une part, internet fait de la prévention, via des sites pour écrire et se confier. Dans mon expérience de praticien, j'ai pu observer qu'il suffit parfois d'un mot, une phrase, pour que le passage à l'acte n'intervienne pas. Je me souviens d'une ado de 13 ans, qui s'apprêtait à sauter d'un pont, à Paris. Des touristes passent, lui demandent leur chemin, elle leur explique, descend du pont et ne se suicidera pas. Par ailleurs, concernant internet, j'ai vu aussi des choses effarantes comme des recettes pour se suicider. Une maman, en entrant dans la chambre de sa fille qui s'était pendue, a vu que l'écran de son ordinateur affichait "comment faire un noeud coulant". Il faut être très prudent, encore une fois.
Les parents confrontés au chagrin d'amour de leur ado doivent-ils le prendre au sérieux ?
B.C. : Absolument. Un chagrin d'amour est douloureux mais très structurant. Il faut admettre avec l'adolescent qu'il souffre, mais qu'il y a d'autres solutions que celle qu'il envisage. Le chagrin d'amour qu'on a eu à l'âge de 10 ans, peut structurer notre profil sentimental à très long terme.
Propos recueillis par Severine PARDINI