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lundi 17 octobre 2011

ARTICLE PRESSE : EXPERIENCE DE PRISE EN CHARGE

Des avatars sur le divan.

Pulsions suicidaires, anorexie... Pour soigner des ados en grande souffrance, le Dr Xavier Pommereau, pédopsychiatre à Bordeaux, a mis au point une méthode inédite : une thérapie par le biais de doubles numériques. Avec des résultats qu'il dit « spectaculaires ».
Par Par Pascale Krémer / Illustrations Séverine Scaglia
Perchée sur un tabouret haut, face à l'ordinateur, émilie, concentrée, a le sourire aux lèvres. Ce qui n'est pas le cas tous les jours, ces temps-ci. A sa droite, un grand miroir reflète son image. Sur l'écran aussi, une jeune fille se regarde dans une glace. C'est son avatar, le double numérique qu'elle vient de concevoir à son image. « En fait, ça fait joli, mes yeux verts ! », semble-t-elle découvrir en contemplant la nouvelle Emilie virtuelle. Nous sommes au centre Abadie, Pôle aquitain de l'adolescence, un gros cube de béton disgracieux qui sert d'annexe au CHU de Bordeaux. Ici séjournent une petite trentaine d'adolescents et de jeunes adultes, de 14 à 25 ans, qui ont tenté de se suicider, ou menacent de le faire, qui souffrent, aussi, de graves troubles du comportement alimentaire. Le docteur Xavier Pommereau, -psychiatre des hôpitaux et fondateur du pôle en 1992, a lancé il y a six mois une expérience thérapeutique dont le résultat est si « spectaculaire » qu'il l'a décrite dans un ouvrage (Nos ados.com des pistes pour les suivre, qui vient de paraître chez Odile Jacob). Il s'agit d'un atelier de création d'avatars qui prend à rebrousse-poil les frayeurs parentales. Les écrans ne sont pas toujours nocifs, ils peuvent même soigner. Car le docteur Pommereau a une conviction, qu'il expose avec ferveur. La pédopsychiatrie doit urgemment s'adapter aux nouvelles générations. A ces « ados.com », selon sa formule, ces « enfants de l'image et de la communication », nés à l'ère numérique, qui « disent davantage ce qu'ils sont et ce dont ils souffrent en images qu'en paroles ». Emilie, 20 ans, a vu quatre fois sa mère tenter de se suicider. Au moment de se lancer dans la vie, elle a « perdu pied », comme elle dit, et sombré dans une dépression. Cet après-midi de la fin septembre, elle a répondu à l'invite du psychiatre : créer un avatar le plus ressemblant possible. Souris en main, la jeune femme a déjà choisi sa morphologie, couleur de cheveux et de peau, la forme de son visage, de son nez, de ses sourcils. Elle a pensé aux taches de rousseur, au tatouage de son poignet, au maquillage, indispensable semble-t-il, et choisit maintenant ses vêtements. Comme la version 3 des « Sims », le jeu vidéo utilisé, est un peu sage, les ados hospitalisés ont trouvé la parade, allant piocher sur le Net des add-on, des ajouts, plus proches de leur réalité. Têtes de mort tatouées, piercings spectaculaires... Le personnage virtuel devient étonnamment ressemblant. Et troublant d'humanité : les paupières clignent, les yeux vous fixent avec intensité. Muriel Forsans, une aide-soignante, guide Emilie, lui donne son avis. La séance se prolonge sans que la patiente se lasse. « C'est un moment d'échange privilégié, note Mme Forsans. Les ados sont capables, à ce moment, de me dire qu'ils se sont créés tels que leur mère voudrait qu'ils soient. Les anorexiques se forgent des avatars obèses... » Emilie, elle, s'est définitivement « prise au jeu ». A son arrivée dans la pièce, son rapport au corps, assurait-elle, ne lui posait aucun problème. Peu à peu, l'avatar contredit l'assertion. « On peut changer des choses, c'est bien, remarque la jeune patiente, parce que dans la glace, on ne peut pas... » Elle trouve son bassin plus large que sur l'écran. Se met debout, devant le miroir. S'observe comme elle le ferait d'une inconnue. « Peut-être un petit peu », admet la soignante, qui, en revanche, lui fait remarquer que son visage est moins rond. « Je suis moins complexée qu'il y a quelques années, mais j'aimerais toujours être un peu plus mince », lâche finalement la jeune femme. Dont la parole, soudain, se fait moins rare. « Mes yeux, mon visage, on me dit qu'ils sont beaux, mais je ne le vois pas forcément, parce que dans notre société on se compare toujours à mieux. » Le coup de l'avatar, en tout cas, l'amuse bien. « En entretien, on sent bien qu'on est étudié, alors on reste évasif. On ne dit rien et ils écrivent quand même quatre pages... On n'ose plus bouger ! Là c'est ludique, on sent moins le regard du psy. » Qui en tire néanmoins de précieux renseignements. « C'est un support à haute valeur ajoutée métaphorique, théorise Xavier Pommereau, dans la foulée. Il libère la parole, et permet aux patients d'avoir un autre regard sur eux-mêmes. L'effet de distance leur permet d'observer ce qu'ils donnent à voir d'eux-mêmes. » Le temps des entretiens psy classiques, des points-écoute de 14 à 18 heures, des thérapeutes « tout en noir avec lunettes rondes, entourés d'objets africains ou asiatiques », comme racontent les ados, ce temps-là est révolu, selon lui. « Dans ce cadre, ils ne disent pas un mot, alors que ce sont souvent des gamins superbrillants. » Pourquoi se saoulent-ils jusqu'à en vomir le vendredi soir ? Pourquoi sont-ils à ce point tatoués, piercés, et même scarifiés ? Que peuvent-ils dire de leur mal-être ? « Rien. Rien de plus que "Ma vie est pourrie, y'en a marre" ou "Ça me fait du bien de me faire du mal". Cette génération affiche sa souffrance plus qu'elle ne l'exprime par la parole. Elle a tout à montrer mais rien à dire tant qu'il n'y a pas d'image pour support. Les profs constatent la même chose : un cours sur la seconde guerre mondiale laisse les élèves apathiques, jusqu'à ce qu'on leur passe la série documentaire "Apocalypse"... » Ces dernières années, le docteur Pommereau a donc tâtonné pour s'adapter, expérimenté divers supports visuels de communication, des méthodes variées d'auto-représentation. Les patients se sont dessinés, ont façonné des figurines en pâte à modeler, puis peint le contour de leur corps sur un drap, ont enfin déposé dans le bureau du psychiatre un objet personnalisé censé les raconter. Peluches transpercées d'une flèche, enduites du sang de leur propriétaire, rendues borgnes ou cul-de-jatte... Les étagères du docteur Pommereau ont tout du musée des horreurs. En voyant tant de ses jeunes patientes adeptes des « Sims », l'idée de l'avatar numérique s'est ensuite naturellement imposée à lui. « L'avatar permet aux personnes suicidaires de figurer les blessures qu'elles s'infligent sans savoir qu'elles sont le reflet de leurs blessures intérieures, résume le psychiatre. Nous, on ne va pas, comme ailleurs, partir à la chasse aux rasoirs, supprimer couteaux et verres, on va leur permettre de représenter leurs scarifications. Quand l'adolescent se voit, avec l'intermédiation de l'avatar, la distanciation créée lui permet de donner un autre sens à ses scarifications, il se met à parler abondamment avec l'infirmière. » Chez les anorexiques, l'avatar, s'est-on vite aperçu, ne devait pas tant figurer une extrême maigreur que montrer ses os. « Et c'est vrai que ces jeunes filles se tripotent tout le temps la clavicule, le sacrum, le dos, réalise alors le psychiatre. Comme si elles devaient vérifier leur charpente pour se sentir exister, comme si elles contrecarraient leur vide intérieur abyssal en se rattrapant à quelque chose de dur, le squelette. » Eve Barbara, 25 ans, jadis soignée au Centre pour anorexie et désormais conceptrice graphique, est venue aider à créer des avatars 3D personnalisés dont on perçoit « la danse des os sous la peau ». « J'ai été hospitalisée, raconte la très frêle jeune femme. Au début, on est dans le déni... Tout cela aurait pu m'aider à l'époque. » L'étape suivante est prévue pour l'été 2012. Le docteur Pommereau profite de la rénovation du service pour le faire pleinement entrer dans l'ère numérique. Dans la salle commune sera installé un mur-écran avec rétroprojecteur sur lequel les avatars des patients interagiront dans un décor virtuel. Les créatures en mouvement évolueront au gré des humeurs de leur modèle, devant tout le monde. Elles ne seront pas aban-données le soir, mais ramenées par les jeunes dans leur chambre, peut-être sur une tablette numérique. Un logiciel pédagogique, sorte de serious game de psychiatrie adolescente, est même en cours d'élaboration avec un fabricant de jeux vidéo bordelais : le jeune sera virtuellement placé dans des situations de vie quotidienne proches de celles qu'il vit, donc parfois très dures. A lui de s'adapter. « Et tout cela sera suivi d'un retour charnel sur scène, prévoit M. Pommereau. Les patients rejoueront en chair et en os ce qu'a fait leur avatar. Car nous devons leur donner davantage de densité existentielle. Les plonger dans la réalité. Cette génération de l'image et de la virtualité est insuffisamment incarnée. On épargne à ces jeunes la souffrance et la mort, l'enterrement du grand-père pour ne pas les traumatiser, et ils tuent des zombies à longueur de soirées, seuls dans leur chambre. Ils ont un déficit de vrai ressenti, de vraies émotions. Alors, la souffrance et la mort, ils nous la recrachent à la figure avec leur comportements trash. » Emilie, entendant ces paroles, nous confie qu'elle verrait bien son tout nouvel avatar dîner avec celui de sa mère. « Il y a certaines choses que je pourrais lui dire plus facilement sur ordi qu'en face. J'ai toujours peur de la blesser. »Repères Chaque année, en France, on dénombre quelque 10 000 décès par suicide, dont environ 600 chez les moins de 25 ans, selon l'institut national de la santé et de la recherche médicale. Les jeunes passent à l'acte de plus en plus tôt. Au début des années 2000, la moyenne d'âge des jeunes suicidants était de 17 ans. Aujourd'hui, elle avoisine 15 ans. Le docteur Pommereau note une hausse des suicides et tentatives chez les collégiens, dès 12 ans. Un phénomène lié au démarrage plus précoce de l'adolescence -- qui dure aussi plus longtemps,

source : http://www.lemonde.fr/m/article/2011/10/14/des-avatars-sur-le-divan_1586755_1575563.html

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