mardi 5 avril 2016

UN RAPPORT sur le suivi psychiatrique en prison

Le suivi psychiatrique en prison laisse toujours à désirer
La Croix, no. 40459
France, mardi 5 avril 2016, p. 12
Dans un rapport à paraître aujourd'hui, Human Rights Watch déplore la prise en charge médicale encore insuffisante des détenus souffrant de troubles psychotiques.
Marie Boëton

« Je vois la psychiatre une fois par mois cinq minutes. Elle demande: "Comment allez-vous? Le traitement, ça va?" » , raconte Marc, un détenu aux bras recouverts de marques d'automutilation. Le suivi médical de ce condamné instable se cantonne à cela.

Des témoignages comme le sien, le dernier rapport de Human Rights Watch, consacré à la prise en charge des détenus psychotiques, en regorge. Interrogé lui aussi par l'ONG, le personnel de direction s'avoue impuissant face à certains profils de détenus. « Avec certaines personnes, il n'est pas possible d'expliquer le sens de la peine » , déplore par exemple le directeur de la prison de Poissy (Yvelines).

Quel sort réserve-t-on aujourd'hui aux détenus souffrant de troubles « psy », qui représentent près du quart de la population carcérale? Pour répondre à la question, Human Rights Watch s'est fait ouvrir les portes de huit prisons l'an dernier.

L'organisation a eu carte blanche pour interroger des dizaines de détenus, mais aussi de directeurs de prison, de psychiatres, de surveillants, etc. Son bilan est plutôt sombre. « Nous avons malheureusement constaté que cette population, très vulnérable, ne faisait pas l'objet d'un suivi médical adéquat » , conclut Izza Leghtas, chercheuse, auteur de l'enquête.

Premier grief adressé à l'institution: le manque de personnel. Les délais d'attente pour rencontrer un psychiatre se comptent parfois en mois. C'est la critique récurrente des détenus et du personnel d'encadrement. Le directeur de la maison d'arrêt de Nanterre reconnaît ainsi n'avoir que « l'équivalent de 1,5 poste de psychiatre à temps plein » ... pour 999 détenus.

Autre motif de récrimination: la surconsommation de médicaments. Faute de temps, le corps médical se cantonne souvent à la prescription de neuroleptiques, anxiolytiques et autres somnifères en lieu et place d'un suivi psychologique. Les services du contrôleur des prisons dénoncent eux aussi un « surdosage médicamenteux » .

« On a par ailleurs constaté que certains détenus faisaient l'objet de menaces du seul fait de se rendre en consultation » , s'alarme Izza Leghtas. Une psychiatre raconte notamment que certains détenus renoncent aux soins de peur d'être étiquetés comme « vulnérables » par les caïds qui les forcent ensuite « à faire les mules » , c'est-à-dire à faire entrer de la drogue lors des parloirs. Nombre de détenus racontent être régulièrement « rackettés » pour leurs anxiolytiques, un produit très prisé derrière les barreaux.

Ce rapport ferait presque faire oublier les efforts déployés par la pénitentiaire ces dernières années. À tort. Car ils n'ont pas manqué. Ainsi, un plan de lutte contre le suicide a été mis en place en 2009 avec des résultats plutôt probants, grâce notamment à la mise en place des « détenus de soutien » ou l'ouverture de « cellule de protection d'urgence ».

L'ouverture régulière de nouvelles unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) est, elle aussi, à saluer. Leur vocation: accueillir les détenus nécessitant des soins psychiatriques. Mais, là encore, le dispositif bute sur le manque de moyens. L'état de santé de certains détenus mériterait un séjour longue durée au sein de ces unités, ce qui est impossible, faute de lits en nombre suffisant.

http://www.la-croix.com/France/Justice/Le-suivi-psychiatrique-prison-laisse-toujours-desirer-2016-04-05-1200751166



05 avr 2016
France : Des soins de santé mentale inadaptés dans les prisons
Les conditions de détention et l’insuffisance des traitements médicaux aggravent les souffrances
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https://www.hrw.org/fr/news/2016/04/05/france-des-soins-de-sante-mentale-inadaptes-dans-les-prisons


(Paris) – Des milliers d’hommes et de femmes atteints de troubles psychiatriques, détenus dans les prisons françaises sont à risque de suicide ou d’automutilation en raison de la négligence dont fait l’objet leur santé physique et mentale.


05 avr 2016 Report
Double peine
Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France
Télécharger le rapport en français
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Le rapport de 78 pages, intitulé « Double peine : Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France », documente le manque de soins appropriés en matière de santé mentale et les conditions inadaptées pour les détenus atteints de troubles psychiatriques. Cette situation est aggravée par la surpopulation carcérale, la stigmatisation et l'isolement, selon Human Rights Watch. La pénurie de professionnels de santé mentale dans de nombreuses prisons se traduit par une rareté des rendez-vous médicaux, qui souvent sont sommaires et se limitent à la seule prescription de médicaments. Les conditions de détention inappropriées et le manque de soins adaptés génèrent en outre des conditions de travail difficiles pour le personnel pénitentiaire.

« Il est honteux pour un pays comme la France d’enfermer des personnes atteintes de troubles psychiatriques pendant des mois ou des années dans des prisons où elles n’ont pas accès à des soins de santé mentale adéquats », a déclaré Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe de l'Ouest à Human Rights Watch. « Cette absence de traitement équivaut de fait à une peine supplémentaire pour les détenus qui ont besoin de ces soins. »

Human Rights Watch a interrogé 50 personnes détenues, des membres du personnel pénitentiaire et des professionnels de santé dans huit prisons, ainsi que des représentants du gouvernement et d'autres acteurs.

Lorsque leur état se dégrade, les détenus atteints de troubles psychiatriques sont parfois transférés vers des hôpitaux psychiatriques contre leur gré et mis à l'isolement dans des conditions qui peuvent constituer des traitements cruels, inhumains ou dégradants en vertu du droit international, selon Human Rights Watch.

« Je préfère 1 000 fois être en cellule qu'en chambre d'isolement à l'hôpital. A me faire attacher les bras et les pieds comme si j'étais un animal », a affirmé Sarah (dont le nom a été changé), une détenue qui avait été envoyée en hôpital psychiatrique.

En l’absence de soutien adéquat et d'adaptations appropriées, le retour en prison peut entraîner la réapparition des troubles mentaux et une nouvelle hospitalisation qui enferme parfois les détenus dans un cycle sans fin d'hospitalisation, de sortie de l'hôpital, de détérioration de l'état de santé mentale et de ré-hospitalisation. Un tel cycle est à la fois néfaste pour la santé du patient et préjudiciable et coûteux pour la prison et l'hôpital concernés.

Le taux de suicide dans les prisons françaises est sept fois supérieur à celui de la population générale, selon une enquête sur les suicides réalisée entre 2006 et 2009 par l'Institut national d'études démographiques. Or, les détenus atteints de troubles psychiatriques ont davantage tendance à s’automutiler ou à commettre une tentative de suicide que les autres détenus. Selon le gouvernement français, il y a eu 113 suicides dans les prisons françaises en 2015.

Sarah, dont les bras présentaient des cicatrices dues à des automutilations, a déclaré que des détenues rencontrées en prison s'étaient par la suite suicidées, « donc, évidemment, je me suis dit : “si elle ne tient pas le coup, est-ce que moi je vais tenir le coup ? ” ».

Il est honteux pour un pays comme la France d’enfermer des personnes atteintes de troubles psychiatriques pendant des mois ou des années dans des prisons où elles n’ont pas accès à des soins de santé mentale adéquats
Izza Leghtas

chercheuse sur l'Europe de l'Ouest

La dernière étude exhaustive menée sur la santé mentale dans les prisons françaises a été publiée en 2004. Elle a établi que près d'un quart des détenus sont atteints de psychoses telles que la dépression, les troubles bipolaires ou la schizophrénie, ce qui est bien supérieur au chiffre de 0,9 % pour la population générale. Une explication fréquemment avancée réside dans le fait que les juges et les jurés considèrent les personnes atteintes de troubles psychiatriques comme plus dangereuses que les autres et prononcent à leur encontre des peines plus longues.

Une loi de 2014 ayant pour visée de corriger cette tendance prévoit une réduction de peine d'un tiers pour les personnes accusées dont l'état de santé était altéré par des troubles mentaux au moment où les faits ont été commis.

Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté en France, a fait part à Human Rights Watch de ses préoccupations quant au nombre élevé de personnes atteintes de troubles psychiatriques en prison et de l'absence de soins appropriés en matière de santé mentale.

La surpopulation carcérale en France – qui atteint 178 % de la capacité prévue dans une prison visitée par Human Rights Watch – génère des conditions de travail difficiles pour les surveillants qui peuvent avoir jusqu’à 100 détenus sous leur responsabilité. Ils disposent de peu de temps pour répondre aux demandes émanant de détenus individuels ou pour repérer des signes révélateurs de leur santé mentale. Les surveillants ne sont pas non plus suffisamment formés sur la santé mentale et la surpopulation constitue un obstacle à leur capacité à assister aux formations disponibles.

Human Rights Watch a constaté des conditions de détention particulièrement difficiles pour les femmes. Afin d'éviter tout contact entre les hommes et les femmes, les responsables pénitentiaires limitent souvent davantage les déplacements des femmes par rapport à ceux des hommes, leur donnant le sentiment d'être plus isolées. Les femmes sont aussi victimes de discrimination dans leur accès aux soins de santé mentale. Une seule unité sur les 26 dotées de soins de santé mentale spécialisés (service médico-psychologiques régionaux, SMPR) dans les prisons françaises est équipée de lits pour les femmes.

En tant qu’État partie à la Convention européenne des droits de l'homme, la France doit garantir aux détenus qu’ils soient incarcérés « dans des conditions compatibles avec le respect de [leur] dignité humaine » et qu'ils ne subissent pas de préjudices ou de difficultés au-delà du « niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention » selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

La Convention relative aux droits des personnes handicapées ratifiée par la France exige des autorités françaises qu'elles fournissent aux personnes handicapées le niveau de santé le plus élevé possible sans discrimination sur la base de leur handicap et qu'elles prévoient des aménagements raisonnables — ou des modifications adaptées — destinés à permettre l'accès aux prestations ou soutiens (nécessaires, appropriés). La France a également ratifié la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes qui interdit la discrimination fondée sur le sexe.

Le gouvernement français devrait commissionner une nouvelle enquête indépendante sur la santé mentale des détenus et publier des chiffres plus précis sur le nombre de personnes atteintes de troubles psychiatriques dans les prisons françaises, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement devrait assurer des conditions de vie appropriées et garantir qu'aucun détenu atteint de troubles psychiatriques n'est placé en isolement. La France devrait aussi remédier à la pénurie de professionnels de santé mentale en prison et améliorer leurs conditions de travail.

« Selon Dostoïevski, on peut juger une société en entrant dans ses prisons », a rappelé Izza Leghtas. « La France a les moyens d'assurer des conditions dignes aux personnes détenues et elle peut, et devrait, faire beaucoup mieux en matière de traitement des détenus atteints de troubles psychiatriques. »
https://www.hrw.org/fr/news/2016/04/05/france-des-soins-de-sante-mentale-inadaptes-dans-les-prisons