samedi 17 décembre 2016

CANADA ETUDE RECHERCHE Prévenir le suicide dans le métro

Prévenir le suicide dans le métro
Une première étude sur les comportements de personnes suicidaires est réalisée grâce à des caméras de surveillance.
Par Claude Gauvreau 15 Décembre 2016 www.actualites.uqam.ca/
Les deux tiers des personnes qui tentent de se suicider dans le métro survivent avec de graves blessures.Photo: Nathalie St-Pierre
Attention, un incident nous oblige à interrompre le service sur la ligne orange pour une durée indéterminée. En entendant ce message, les usagers du métro de Montréal se disent souvent qu'un passager s'est jeté sur les rails. Et ils ont souvent raison. Pourtant, contrairement à ce qu'on pense, quelqu'un qui tente de se suicider dans le métro n'est pas voué à une mort certaine. «Les deux tiers des personnes qui se jettent devant le premier wagon survivent avec de graves blessures – perte d'un membre, lésions cérébrales – qui, dans plusieurs cas, les laissent handicapées de façon permanente», souligne le professeur du Département de psychologie Brian Mishara.
Directeur du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (CRISE), Brian Mishara a dirigé une étude sur les comportements associés aux personnes suicidaires dans le métro de Montréal, en utilisant les images enregistrées par les caméras de surveillance entre 2010 et 2013. Il s'agit de la première étude du genre, dont les résultats viennent de paraître dans Bio Med Central Public Health, une revue scientifique en libre accès.
Selon l'étude, laisser des objets personnels sur le quai et marcher de long en large entre le mur et le bord du quai sont deux indicateurs de risque d’une tentative de suicide imminente. «En se basant sur ces deux comportements, identifiés en direct grâce aux caméras de surveillance, près du quart (24 %) des tentatives de suicide auraient pu être repérées et prévenues, affirme le professeur. On peut penser que la prise en compte de plusieurs comportements combinés donnerait des résultats supérieurs.»
Un double objectif
La recherche s'est déroulée en deux étapes. Dans un premier temps, l'équipe de chercheurs avait pour objectif d'identifier les comportements des personnes ayant fait une tentative de suicide. Puis, ils ont cherché à vérifier si ces comportements pouvaient être utilisés pour repérer les personnes suicidaires avec un risque minimal d'erreur. Selon eux, la présence de deux ou plus des comportements suivants indiquaient un risque de tentative de suicide: laisser des objets personnels sur le quai, marcher de long en large entre le mur et le bord du quai, regarder fréquemment dans le tunnel, fixer la voie et se tenir debout sur le bord du quai durant une longue période, marcher continuellement le long du quai, avoir l’air agité ou déprimé.
Au cours de la première étape, les chercheurs ont eu accès aux images des caméras de surveillance enregistrées lors de 66 tentatives de suicide. «Il s'agissait d'images captées entre le moment où une personne entrait dans la station de métro et celui où des secouristes intervenaient après sa tentative de suicide», explique Brian Mishara. Après un examen attentif d’un sous-échantillon choisi aléatoirement, une liste de comportements a été dressée, puis validée et testée par quatre observateurs ayant reçu une formation appropriée et qui ont ensuite analysé les 66 cas de tentatives.
«Si certains comportements étaient plus clairement associés à la tentative de suicide, d’autres – avoir une attitude bizarre, être agité, afficher un air déprimé – étaient moins fiables et davantage sujets à interprétation, note le professeur. Plusieurs personnes dans le métro peuvent sembler déprimées, sans avoir l'intention de se suicider. Les employés du métro doivent prendre une décision rapidement en regardant les images en temps réel. Ils ne peuvent pas repasser les images et engager une discussion avant d'agir.»
Lors de la deuxième étape du projet, 33 étudiants de premier cycle ont été recrutés pour regarder 63 courts extraits (5 minutes) de bandes vidéos de personnes suicidaires, sans savoir qu'elles avaient tenté de se suicider, mélangés de façon aléatoire avec 56 autres brefs extraits de vidéos enregistrées sur les mêmes quais, mais où aucune tentative de suicide n'avait eu lieu. Chaque extrait était montré une seule fois afin de respecter les contraintes de l’observation en direct auxquelles sont soumis les agents de sécurité du métro.
Après une formation de seulement 10 minutes, les étudiants devaient identifier des comportements à risque, issus de la liste établie lors de la première phase de la recherche. Ils ont repéré de tels comportements dans 53% des vidéos mettant en scène une personne suicidaire. Les étudiants n’avaient accès qu’aux images d’une seule caméra et ne disposaient pas d'un temps d'observation aussi long que lors de la première phase de la recherche, souligne Brian Mishara. «D'où l'importance, dit-il, de bien former le personnel professionnel du métro afin qu’il puisse identifier en temps réel les comportements à risque.»
Comportements ambivalents
Les chercheurs ont observé des comportements ambivalents dans 75 % des tentatives de suicide. «Après avoir sauté sur la voie, certaines personnes ont tenté, sans succès, de remonter sur le quai, note le professeur. D'autres se sont couchées sur la voie avec l'espoir de ne pas être heurtées par le train. Il y a aussi ce cas d'une personne qui a longtemps hésité avant d'acheter un billet, puis est ressortie de la station avant de revenir quelques minutes plus tard. Un fois descendue sur le quai, elle a laissé passer plusieurs trains avant d'essayer de se suicider. Observer des gens sauter sur la voie et changer d'avis, sans parvenir à éviter le métro, donne froid dans le dos.»
L'étude révèle par ailleurs que, dans 37 % des tentatives de suicide, des passagers en attente sur le quai ont tenté d'aider les personnes suicidaires. «La semaine dernière, un homme m'a confié qu'il avait réussi à agripper un jeune par son sac à dos au moment où il s'apprêtait à se jeter devant un train», raconte Brian Mishara.
Pistes d'avenir
Le professeur se réjouit du fait que le nombre de suicides dans le métro de Montréal ait diminué ces dernières années. Selon lui, l'étude offre une base pour le développement de recherches novatrices qui favoriseront la prévention. «Plusieurs comportements à risque peuvent être identifiés automatiquement à l’aide de systèmes informatiques de reconnaissance de contenus d’images, permettant ainsi d'alerter rapidement les employés chargés d'assurer la sécurité. On sait aussi que les conducteurs des nouveaux trains de métro peuvent maintenant voir ce qui se passe de l'intérieur du tunnel grâce aux images captées par les caméras avant l'arrivée du train à la station.»
Des suicides surviennent dans tous les métros à travers le monde, à l'exception de ceux équipés de systèmes de barrières qui empêchent les gens d'avoir accès aux voies et qui s'ouvrent uniquement lorsque le train s'immobilise à la station. «De plus en plus de métros sont munis de ce système, dit Brian Mishara, mais leur installation demeure très coûteuse.»
D'autres projets de recherche sont sur la planche à dessin du CRISE. «Nous avons fait des entrevues avec des gens qui ont survécu à leur tentative de suicide dans le métro, afin de préciser le profil des personnes suicidaires et de mieux comprendre pourquoi ils ont choisi ce moyen plutôt qu'un autre. Il est rare qu'ils prennent leur décision de façon  impulsive. Les gens font ce choix, convaincus à tort que le métro provoque une mort rapide et sans douleur.»
*http://www.actualites.uqam.ca/2016/premiere-etude-comportements-associes-suicide-metro

Références étude citée  Can CCTV identify people in public transit stations who are at risk of attempting suicide? An analysis of CCTV video recordings of attempters and a comparative investigation, Brian L. Mishara 1 mishara.brian@uqam.ca, Cécile Bardon 1 and Serge Dupont 21 Centre for Research and Intervention on Suicide and Euthanasia (CRISE), Psychology Department, Université du Québec à Montréal
2 Metro Network, Société des Transports de Montréal
BMC Public HealthBMC series – open, inclusive and trusted201616:1245