mardi 14 juin 2016

ARTICLE PRESSE Les suicides en prison, ce fléau que la France n'arrive pas à juguler


D'après article Les suicides en prison, ce fléau que la France n'arrive pas à juguler
Par Yohan Blavignat , Service infographie du Figaro
le 09/06/2016 lefigaro.fr*
extraits


INFOGRAPHIES - En 2015, 115 suicides ont eu lieu dans les prisons françaises. Un chiffre en hausse par rapport en 2014. Conditions de vie, surpopulation carcérale, manque de surveillants... Le Figaro tente de faire le point sur les causes de cet échec.



D'année en année, les chiffres sur les suicides en prison ne cessent de montrer une réalité: la France est dans une impasse. Depuis le début de l'année, de nombreux détenus ont mis fin à leur jour dans les geôles françaises, dont le dernier, mercredi, dans sa cellule de la maison d'arrêt du Puy-en-Velay (Haute-Loire).
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Pour un détenu médiatisé qui se suicide, ils sont des dizaines d'anonymes à passer à l'acte, dans l'indifférence générale. Selon les chiffres de l'année 2015 du ministère de la Justice, auxquels Le Figaro a eu accès, pas moins de 115 personnes se sont suicidées en prison. À titre de comparaison, ils étaient 93 en 2014.

Face à ce fléau, la France a pourtant réagi dès juin 2009 en déployant un plan national de prévention et de lutte contre le suicide en prison. Ce dernier a introduit des mesures visant à respecter davantage l'intégrité de la personne. Les multiples rondes de nuit, la dotation de pyjamas déchirables et de couvertures indéchirables aux détenus victimes de crises suicidaires, la mise en place de codétenus de soutien ou encore la lutte contre le sentiment d'isolement au quartier disciplinaire ont notamment été instituées dans de nombreux établissements. Si, dans un premier temps, le nombre de suicides avait effectivement baissé entre 2011 et 2014, il a par la suite augmenté de façon préoccupante. Et le Garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, a rappelé le 6 avril, en citant une étude de l'Institut national d'études démographiques (Ined), qu'en France «on se suicide sept fois plus en prison qu'en dehors».

En Europe, la France fait partie des derniers de la classe depuis longtemps. Le nombre de suicides, même lorsqu'il était au plus bas sur ces dix dernières années, restait le plus élevé du Vieux continent, d'après l'enquête Space du Conseil de l'Europe réalisée tous les ans. Pis, avec 12,4 suicides dénombrés pour 10.000 détenus, la France figurait en 6e position en 2014, largement devant des pays de taille équivalente comme les Pays-Bas (3,8%) ou même la Hongrie (3,8%).





Des tentatives inefficacesSi le gouvernement sous Nicolas Sarkozy avait tenté de réagir, Adeline Hazan, la Contrôleure général des lieux de privation de liberté (CGLP), dénonce des mesures dans l'ensemble inefficaces, voire dangereuses pour des détenus fragiles psychologiquement. «Il y a un effet pervers intrinsèque à la surveillance de nuit, par exemple, qui veut que l'on réveille quatre à cinq fois par nuit ces hommes. Cette pratique doit cesser. On doit privilégier les veilleuses qui permettent d'observer les prisonniers sans allumer la lumière», assure-t-elle au Figaro. Concernant la vidéosurveillance dans une cellule, pour une personne qui présente un risque suicidaire élevé, (..) il s'agirait d'«un remède pire que le mal» pour Adeline Hazan. «C'est une mesure contraire aux droits humains fondamentaux et c'est incompatible avec le respect de l'intimité».


«Il y a actuellement 1645 prisonniers qui dorment à même le sol» Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Une vision que partage l'Observatoire international des prisons (OIP). Contacté par Le Figaro, l'organe défend une vision humaniste de la détention. «Il s'agit d'une question éthique. Si on décide de surveiller un détenu 24 heures sur 24, on ne pourra plus faire marche arrière. Tout dépend où l'on place le curseur de la dignité humaine». Au-delà de la vidéosurveillance, la question des conditions de détention est également posée. «Il y a actuellement 1645 prisonniers qui dorment à même le sol, argue Adeline Hazan. On stagnait à un millier depuis plusieurs années, mais en 2015 ce chiffre a explosé en même temps que le nombre de détenus». Dans les faits, le nombre de matelas au sol a bondi de 20 % en un an.

144 cellules dites «lisses» ont par ailleurs été prévues pour les détenus suicidaires dans les prisons modernes, comme à Lyon-Corbas. Dans ces pièces, il n'y a absolument rien mis à part un lit en métal, des draps indéchirables et des pyjamas déchirables. «On ne peut pas décemment laisser une personne plus de quarante-huit heures dans ces cellules sinon il deviendrait fou! Il faut se rendre compte que d'un point de vue humain, c'est une méthode d'un autre âge», tempère Bruno Lucchini, membre du syndicat CGT-Pénitentiaires au Figaro.
La surpopulation carcérale

Au-delà de ces remèdes, parfois pires que le mal, le principal facteur du nombre élevé de suicides en prison est la surpopulation carcérale, selon tous les acteurs du milieu. En France, il y avait 68.361 personnes sous écrou au 1er avril 2016, soit une hausse de 2,4 % par rapport à avril 2015. Un chiffre en constante augmentation depuis 2005 où la France n'en comptait que 57.000. Ce phénomène, dénoncé par le syndicat UFAP, est présent dans «une très grosse majorité des établissements français». Dans le centre pénitencier de Fresnes, le nombre de prisonniers atteint 190 % de la capacité maximale de l'établissement. À la maison d'arrêt de Villepinte, en Seine-Saint-Denis, on compte 1000 détenus pour 588 places et deux gardiens surveillent à eux seuls 160 prisonniers.

«La surpopulation carcérale entraîne une absence d'observation efficace de la part des surveillants», explique Stéphane Barraut, secrétaire général adjoint du syndicat au Figaro. Et le syndicaliste de pointer le manque de personnel pénitentiaire. «Dans la plupart des prisons, un ‘maton' a tout un étage à sa charge, soit une centaine de détenus. Ce n'est pas gérable. Maintenant, les surveillants gèrent du nombre et non des individus», argue-t-il. Dans les faits, il n'y a pas eu de plans de licenciements massifs de l'administration pénitentiaire, mais il n'y a eu que peu de recrutements depuis plusieurs années malgré la hausse du nombre des détenus et la création de nouvelles prisons. Selon le Ministère de la Justice, joint par Le Figaro, 950 postes de surveillants ont été créés au titre du projet de loi de finance 2016. Mais, de l'aveu du Garde des Sceaux, il reste toujours plus de 1300 postes vacants dans toute la France. «Un effort sera fait pour diminuer ce chiffre à seulement 402 postes d'ici au premier trimestre 2019», assure le ministère.


«On se retrouve avec des gars très endurcis. Des caïds. On n'est pas préparé à ça à 20 ans» Sylvain, ancien détenu

Au-delà des recrues potentielles, les syndicats pointent des conditions de travail qui se dégradent d'année en année. Près de 30 % des nouveaux venus démissionnent dans les trois ans après leur embauche à cause des violences et de la charge de travail au sein des établissements pénitentiaires. «Les nouvelles recrues ne sont pas suffisamment préparées à ce genre de travail», explique encore Stéphane Barraut. Pourtant, depuis 2009, près de 90 % des agents ont subi une formation spéciale, souligne le ministère de la Justice.

«Le rapport humain entre un surveillant et un détenu a complètement disparu. C'est surtout difficile pour les nouveaux arrivants, condamnés pour la première fois à de la prison ferme parfois pour des délits mineurs. Ils se retrouvent jetés dans la jungle et certains n'y survivent pas», explique également la Contrôleure des lieux de privation de liberté. Sylvain, un jeune homme de 28 ans, a été condamné à quatre mois de prison en 2008 pour trafic de stupéfiants. Joint par Le Figaro, le jeune homme au visage enfantin confirme que les conditions de vie sont très difficiles pour un jeune détenu. «On se retrouve avec des gars très endurcis. Des caïds. On n'est pas préparé à ça à 20 ans. On ne reste que quelques jours dans le quartier arrivant, un peu isolé, avant de devoir rejoindre un autre détenu dans une cellule, voire plusieurs. Et là, il faut être fort psychologiquement», explique-t-il. Si le jeune homme a connu une prison relativement épargnée par les problèmes de surpopulation, Stéphane Barraut de l'UFAP juge les anciens établissements comme Fleury-Mérogis - la plus grande prison d'Europe -, Amiens ou Lille comme «indignes de la République». «Il s'agit de grosses usines où plusieurs milliers de détenus s'entassent dans des conditions sanitaires déplorables».
«On ne peut pas empêcher un détenu de se suicider»

Toutefois, tous les voyants ne sont pas au rouge pour autant. En effet, si les suicides ont augmenté en 2015, les tentatives de suicides ont quant à elles baissé d'année en année depuis 2009 pour atteindre 1166 l'an dernier. Pour Adeline Hazan, cette baisse est due à une vigilance accrue de l'administration pénitentiaire. «Depuis quelques années, les surveillants sont plus à même d'empêcher un détenu de passer à l'acte mais il manque toujours un travail en amont», explique-t-elle. Une vision partagée par Bruno Lucchini de la CGT-Pénitentiaire. Selon lui, les surveillants ont pour rôle «d'empêcher le geste, mais si un détenu veut se suicider, il le fera quoiqu'il arrive». «On ne peut pas mettre quelqu'un derrière chaque suicidaire», poursuit-il, fataliste.



Afin de diminuer la proportion des suicides en prison en France, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté travaille notamment sur la baisse du nombre de détenus plutôt que sur la construction de nouveaux établissements. «L'important, désormais, est de réfléchir à des politiques alternatives à la prison. Un délinquant ne doit être incarcéré qu'en dernier recours. Notamment concernant les très courtes peines d'un mois ou deux. D'autant que ce sont surtout les nouveaux arrivants, les petits délinquants, qui tentent de se suicider quelques jours après leur arrivée», affirme Adeline Hazan. Le Garde des Sceaux n'a, pour l'heure, pas laissé son empreinte sur ce dossier épineux.

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