jeudi 21 avril 2016

AUVERGNE Accès aux soins en milieu rural : « Des actions fondées sur l’aller vers »

Accès aux soins en milieu rural : « Des actions fondées sur l’aller vers »
Actualités Sociales Hebdomadaires, no. 2956
Côté Terrain, vendredi 15 avril 2016, p. 17
Pascal Dessenne
M. LB.
Lors d’un forum scientifique organisé le 7 avril, Médecins du monde a présenté une étude sur l’état de santé et l’accès aux soins, réalisée en 2015 auprès d’agriculteurs du Pays des Combrailles, en Auvergne. Pascal Dessenne, responsable de mission, en explique les enjeux.
Comment l’idée de cette enquête est-elle née ?
A partir de constats effectués au sein du Réseau de santé et de coordination d’appui (Rescorda) de Médecins du monde, qui a été mis en place à partir de 2012 dans les Combrailles, dans le nord-ouest du département du Puy-de-Dôme. Nous avons, avec Olivier Lesens, médecin au CHU de Clermont-Ferrand, monté ce projet pour favoriser l’accès aux soins en milieu rural par une meilleure articulation entre les acteurs du sanitaire et du social. Cette action, qui s’inscrit dans le cadre du contrat local de santé, contribue notamment à résoudre des difficultés de mobilité, financières et administratives.
Cette mission a été diversement accueillie…
S’il y a eu en effet des réactions de méfiance, liée à la tentation de nier la précarité en milieu rural et à la crainte des professionnels de santé de voir notre action se substituer à leur travail, la mission a permis de suivre plus de 180 personnes. Mais après deux ans de fonctionnement, il est apparu que très peu d’agriculteurs étaient suivis par le dispositif, qui accompagne davantage de chômeurs, de néoruraux ou de femmes seules isolées avec des enfants. Or nous connaissions les conditions de vie difficiles du monde agricole. Nous avons donc décidé d’aller à la rencontre de cette population, en évitant d’être intrusifs. A partir d’une liste de 554 agriculteurs exploitants fournie par le Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles, partenaire de l’enquête avec l’Ecole normale supérieure de Lyon, nous en avons sélectionné 200 par tirage au sort, écarté 39 qui ne correspondaient plus au panel et contacté 161 par téléphone. Nous en avons rencontré 112, ce qui est un taux de réponse relativement important. L’enquête qualitative a été effectuée auprès de 16 personnes.
Quels ont été les résultats ?
Si les agriculteurs interrogés ne s’estiment pas en mauvaise santé physique, ils expriment une grande souffrance psychique. La détresse psychologique a été détectée chez 30 % d’entre eux, et bien que ne déclarant pas de tendance suicidaire directement, 47 % disent connaître une personne travaillant dans l’agriculture ayant déjà fait une tentative de suicide. Cette qualité de vie dégradée est liée à la pénibilité et au temps de travail sur leur exploitation, aux pressions administratives et au sentiment d’isolement. Les personnes interrogées sont principalement des éleveurs de bovins, qui n’ont pas le temps de prendre des congés – trois jours par an en moyenne – ni d’aller chez le médecin. Ils sollicitent peu le service de remplacement(1). A cela s’ajoutent des difficultés financières, surtout pour les petits exploitants. 31 % des agriculteurs interrogés sont considérés comme précaires au regard du score Epices (évaluation de la précarité par les centres d’examen de santé), ce qui est un taux élevé, même si cette grille n’est pas tout à fait adaptée à la population spécifique des agriculteurs. 14 % déclarent avoir renoncé à consulter durant les 12 derniers mois.
Quelles sont les préconisations de Médecins du monde ?
Les résultats ont été restitués à tous les acteurs locaux, et plusieurs actions sont en cours d’élaboration. Des ateliers de mobilisation autour du suicide vont être créés avec la MSA [Mutualité sociale agricole] , le conseil départemental, des professionnels de santé locaux, le service de remplacement, des associations, la chambre d’agriculture, des exploitants et des maires, dont certains sont agriculteurs. Des actions de sensibilisation vont avoir lieu, notamment à travers une pièce de théâtre. Il s’agit aussi de mettre en place une prise en charge multipartenariale fondée sur le principe de l’« aller vers », qui fonctionnera à partir de personnes « relais » et d’un numéro d’appel porté par le contrat local de santé. Autre enjeu : promouvoir et renforcer les dispositifs de remplacement et de soutien aux agriculteurs. En lien avec d’autres acteurs associatifs, cette enquête a par ailleurs débouché sur des prises en charge concrètes. Nous allons publier ces résultats, qui peuvent intéresser d’autres territoires ruraux, qui représentent 70 % du territoire national.