jeudi 8 octobre 2015

Eclairage Etats-Unis "Etats-Unis : pour un soldat mort au combat, 10 vétérans se suicident"

Eclairage Etats-Unis,  Amérique  "Etats-Unis : pour un soldat mort au combat, 10 vétérans se suicident"
Patrouille soldats américains
Province de Nangarhar (Afghanistan), le 30 août 2015. Patrouille de soldats américains en collaboration avec l'armée nationale afghane dans une opération anti-taliban sous l'égide de l'Otan. © AFP PHOTO / Noorullah Shirzada
Un rapport sur le suicide des vétérans a semé émoi et confusion aux Etats-Unis. Des chiffres (bien que partiels) du ministère américain des Anciens combattants ont révélé des taux de suicide très élevés chez les hommes et totalement alarmants chez les femmes militaires. Revue des multiples causes envisagées pour tenter d'expliquer, sinon de comprendre, le phénomène.

22 suicides par jour ! Quand les dernières guerres des Etats-Unis ont coûté la vie à 4488 soldats, la vie civile a vu le suicide de 43.208 hommes et femmes anciens combattants sur 10 ans... Pour un mort sur le terrain, près de 10 anciens combattants se sont donné la mort.
Cette moyenne du nombre de décès quotidiens de vétérans a fait frémir l'Amérique quand elle l'a appris. Près de 950 tentatives par mois.

L'étude du Department of veterans affairs (l'équivalent du ministère des Anciens combattants, NDLR) de 2012 portait sur 21 Etats. A cette étude, ont été rajoutées les statistiques de deux autres Etats et les particularismes des femmes ayant servi sous les drapeaux. Ainsi, elle montre que 173.969 suicides sont survenus dans 23 Etats de 2000 à 2010. Et, quand le taux de suicide national est de 20,9 pour 100.000 hommes, il grimpe à 32,1 chez les vétérans. Une hausse importante qui pose question.

Mais là où les chiffres deviennent effrayants, c'est quand on constate que le taux de suicide national qui n'est que de 5,2 pour 100.000 femmes, explose à 28,7 pour 100.000 femmes vétérans. Ce chiffre montre que ces dernières se suicident plus que les hommes civils, et leur taux de suicide avoisine celui de leurs collègues anciens combattants. Mieux, alors que les (proportionnellement peu de) femmes qui attentent à leurs jours utilisent généralement des médicaments, les femmes vétérans ont recours aux armes à feu, comme leurs homologues masculins.

«Nous avons dû rater quelque chose, que nous voyons maintenant», dit Michael Schoenbaum, un épidemiologiste et chercheur sur le suicide militaire à l'Institut national de santé mentale, qui n'a pas participé à l'étude.


Ministère américain anciens combattants
Page d'accueil du site du ministère américain des Anciens combattants. Outre un numéro auquel n'importe quel vétéran peut appeler en cas d'urgence, on peut y lire que septembre est décrété «mois de prévention du suicide». © Saisie d'écran du site du ministère américain des vétérans

Biaisé dès le départ
Il semblerait que d'entrée de jeu les dés soient pipés. Dans la mesure où il apparaît que celui qui s'engage dans l'armée n'est pas n'importe qui. Les postulants à une carrière militaire sont souvent des gens qui ont eu une enfance compliquée, où ils ont été confrontés à de la maltraitance physique, psychologique voire sexuelle.

Une enquête menée auprès de tous les engagés fait apparaître que 43% d'entre eux rapportent avoir été victimes de violences psychologiques, 34% disent avoir grandi dans un foyer où l'alcoolisme régnait, 27% affirment avoir été victimes de violences familiales, 12% avaient un membre de leur famille en prison et enfin 11% ont été confrontés à des attouchements sexuels.

Donc d'emblée, ces engagés sont des personnalités fragiles. Une fois confrontés au terrain, ils réalisent que leur vision du monde est souvent orientée et manichéenne, que les Etats-Unis ne sont pas forcément le centre du monde contrairement à ce qu'ils croyaient. Certains s'étonnent de ne pas avoir trouvé d'armes en Irak, quand d'autres sont surpris de ne pas avoir été accueillis en libérateurs en Afghanistan. Enfin, ils se retrouvent à devoir obéir à l'ordre de fermer les yeux sur des pratiques qu'ils réprouvent totalement et qu'ils se retrouvent à cautionner en se taisant.

Et pour finir, la violence sur les théâtres de guerre, ou la vue de leurs camarades de combat blessés ou tués, les a un peu plus déstabilisés, voire complètement fait basculer.
Cérémonie à Arlington
ARLINGTON (Etats-Unis)  31 mars 2015. Soldats, officiers et civils attendent le début d'une cérémonie d'inauguration du mois de «la prise de conscience et la prévention des agressions sexuelles dans l'armée américaine». © Chip Somodevilla/Getty Images/AFP

Des femmes à la manœuvre
Du côté des femmes, le Pentagone estime que 10% d'entre elles ont été violées pendant qu'elles servaient sous la bannière étoilée. Et que 13% de plus ont été confrontées à des contacts sexuels non-consentis. Auparavant, et jusqu'en 1967, les femmes ne représentaient que 2% de l'armée, où elles étaient infirmières, auxiliaires médicales, secrétaires, c'est-à-dire non-combattantes. Depuis qu'elles le sont au même titre que les hommes, elles mettent fin à leurs jours pratiquement dans les mêmes proportions qu'eux, mais aussi de la même façon.

Plusieurs femmes ont été réformées après avoir été détectées comme souffrant de problèmes mentaux.

Ces personnalités en souffrance sont souvent repérées en amont. Toutes ces personnes font l'objet d'un suivi et de soins par le Department of veterans affairs, qui doivent quand même éviter à certaines d'entre elles cette issue fatale. Pour autant, l'armée américaine, très inquiète devant l'ampleur de ces statistiques, a lancé différentes campagnes. Une, via le ministère des Anciens combattants, faisant du mois de septembre le mois de prévention du suicide. Mais aussi en annonçant que la devise de cette année 2015 sera : «Pas dans ma compagnie, pas dans notre armée, nous sommes des professionnels confirmés». Elle espère ainsi instaurer un climat de dignité et de respect reposant du l'ordre et la discipline.

La tâche semble longue et ardue !