samedi 31 octobre 2015

CRITIQUE DEBAT RETOUR CONGRES La souffrance liée à la stigmatisation ou à l’interdit social

Article "Quels genres de psychiatres sommes nous ?"
Par admincongres dans Newsletter - CQFPSY
http://www.congresfrancaispsychiatrie.org/quels-genres-de-psychiatres-sommes-nous/?utm_source=Psychiatrie&utm_campaign=a8d22fffd0-CQFPsy_num_ro_910_30_2015&utm_medium=email&utm_term=0_760f5a1253-a8d22fffd0-308962257


Retour CFP 2014


Le lundi 5 janvier en page 12 de Libération, « les derniers mots d’une ado trans » relataient le suicide d’un adolescent qui se sentait depuis l’âge de 4 ans « comme une fille enfermée dans le corps d’un garçon ». Au nom d’un « Dieu qui ne se trompe jamais » ses parents l’avaient coupé de ses liens sociaux et l’avaient contraint à une thérapie de réorientation, pourtant jugée dangereuse par l’American Psychological Association comme le rappelait Malick Briki, premier intervenant d’un symposium très judicieusement suivi par un large public en cette dernière matinée de congrès nantais.
Sessions thématiques du congrès 2014
:
S32 – La question du Genre : quand les paradigmes changent
Président : Christian SPADONE – Paris
S32A – Orientation de genre : l’homosexualité dépsychiatrisée
Malick BRIKI – Béziers
S32B – Identité de genre : les transgenres contre l’ordre établi
Florence THIBAUT – Paris
S32C – Stéréotypes de genre : 65 ans après Beauvoir
Pascal HUGUET – Marseille

Points forts
La souffrance liée à la stigmatisation ou à l’interdit social est un facteur de risque important des conduites suicidaires chez les homosexuels et transsexuels.

Les thérapies dites « de réorientation » comportent des risques et sont jugées dangereuses par l’association des psychologues américains

Entre norme divine, norme clinique, norme sociale, homosexuels et transgenres ne sont toujours pas à l’abri de violences allant de la peine de mort dans certains pays, à la haine ordinaire de l’intolérance ignorante de la différence à peu près partout. Le retentissement médiatique du roman autobiographique d’Edouard Louis paru en 2014 témoigne de l’actualité de souffrances que les cliniciens doivent repérer et soulager, même si leur rôle dans cette stigmatisation n’a pas toujours été du côté de l’apaisement.
Malick Briki, en retraçant l’histoire de la dépsychiatrisation de l’homosexualité a montré comment la sphère de la sexualité a été sous l’emprise du religieux jusqu’au XVIIIème siècle en occident et le reste encore dans de nombreux pays. En pathologisant l’homosexualité, les aliénistes souhaitaient la dépénaliser, c’est pourtant une double peine qui a perduré pendant un siècle. La psychanalyse, en rupture avec l’aliénisme, ne considérait pas l’homosexualité comme une « maladie », mais en l’inscrivant au rang des orientations perverses de la sexualité interdisait jusqu’à récemment aux homosexuels d’intégrer la plupart des instituts de psychanalyse.
Le DSM est parvenu, après 20 ans de débats difficiles, à supprimer l’homosexualité de la nosologie des troubles mentaux, la CIM 10 continue d’évoquer les orientations sexuelles égodystoniques et les thérapies de réorientation, attitude rétrograde de l’OMS au regard des études ayant montré l’inefficacité voire la dangerosité de ces thérapies.
L’étude des aspects génétiques, endocriniens, neuropsychologiques et développementaux du genre et de l’identité de genre ou du choix d’objet sexuel est-elle utile à la compréhension des différences observées dans nos ressentis, nos désirs et nos comportements ? Florence Thibaut a redéfini les notions de sexe génétique, anatomique, biologique, de genre et d’identité de genre, et a rappelé comment le processus de « sexualisation » du cerveau est complexe, sous l’influence de facteurs endogènes et exogènes au cours de la grossesse. S’il n’existe aucune confirmation majeure de particularités biologiques dans l’homosexualité ou le trouble de l’identité de genre, les recherches dans ces directions méritent d’être poursuivies, la précocité du sentiment de différence ressenti par de nombreux transsexuels, le caractère « irrésistible » du choix d’objet hétéro- ou homosexuel en dépit des pressions sociales suggérant la possibilités de configurations stables inscrites dans le corps. Des études sur des jumeaux ayant une dysphorie de genre ont montré une concordance de 40 % pour les homozygotes et 0 % pour les dizygotes. Parmi les garçons ayant dans l’enfance des comportements « plutôt féminins », 75 % deviennent homosexuels ou transgenres.
L’évolution historique dans le sens d’une décriminalisation et d’une « dé-pathologisation » de ces modes d’être déplace la question de la souffrance non plus à l’intérieur même de l’homosexuel ou du transsexuel, mais bien en dehors de lui. Le risque de suicide augmenté ne serait-il pas la traduction de facteurs de stress environnementaux liés à la stigmatisation bien plus que le reflet d’une vulnérabilité supposée ?
Au-delà de la persistance de postures homophobes explicites, individuelles, collectives, religieuses, à combattre autant qu’il est possible, c’est aux attitudes implicites de ségrégation qu’il faut s’intéresser, à commencer par les nôtres. C’est en substance le message important transmis par Catherine Thinus-Blanc dans une conclusion stimulante du symposium. Les stéréotypes sont des croyances partagées, à des degrés divers, à l’égard de certains groupes sociaux et qui entraînent des discriminations dans les faits. Les stéréotypes de genre ont été bien étudiés, la discrimination négative des femmes par rapport aux hommes est présente dans de nombreux contextes dont le contexte professionnel. Elle n’est pas seulement le fait des hommes, les femmes ayant intériorisé les stéréotypes les reproduisent aussi sur leurs collègues féminines.
Il n’est pas facile de se laisser convaincre que l’on est moins tolérant que ce que l’on s’imagine. Que nos comportements ne sont pas accordés aux idées que nous croyons défendre. C’est un des objectifs du programme de cognition sociale Project Implicit, que de recueillir des données à partir des tests que chacun est invité à passer et qui mesurent notamment l’écart entre les points de vue déclarés et les comportements effectifs dans différents contextes sociaux. Le site fournit après chaque test passé un retour avec une analyse des résultats.
A l’heure où il serait si confortable de cantonner l’intolérance à ses formes extrêmes, un peu de travail métacognitif sur nos fausses croyances (mais une croyance peut-elle être vraie ou fausse ?), disons sur nos illusions narcissiques et notre bonne conscience de praticien empathique n’est pas superflu. La méthode de Project implicit est bien-sûr un peu scientifique, plutôt rigoureuse et pas très rigolote. Alors si ça vous amuse de rire comme disait Bobby, ne vous en privez pas, l’humour a aussi ses vertus libératrices pour les impasses de l’ignorance, de la certitude et de l’illusion. Plus que jamais, amusons nous de nous-mêmes !
Christophe Recasens
Boissy Saint-Léger