lundi 3 août 2015

ETUDE RECHERCHE : DEPRESSION, GENRES Et NEUROBIOLOGIE

Dépression : hommes et femmes sont différents. Nous avons besoin d'une médecine genréePublié le 02-08-2015 http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1403708-depression-hommes-et-femmes-sont-differents-nous-avons-besoin-d-une-medecine-genree.html
Par Peggy Sastre sexe, science et al.


LE PLUS. Le suicide tue davantage que les accidents de la route. À l'origine, une dépression, qui est l'un des premiers facteurs du risque suicidaire. Comment expliquer que les femmes tentent quatre fois plus que les hommes de se suicider ? Pour Peggy Sastre, qui s'appuie notamment sur une étude récente, la réponse se trouve dans notre cerveaux et nos gènes. Explications.

Édité par Henri Rouillier Auteur parrainé par Mélissa Bounoua

Dans le monde et chez les individus de 15 à 44 ans, la dépression est l'une des premières causes d'incapacité. C'est aussi l'un des premiers facteurs du risque suicidaire, et le nombre de morts par suicide dépasse aujourd'hui celui des accidents de la route.
Pourtant, malgré sa gravité manifeste, ce trouble psychiatrique demeure encore mal compris, si ce n'est sous-estimé et stigmatisé, ce qui limite d'autant l'efficacité d’éventuels traitements. Le risque dépressif est deux fois plus élevé chez les femmes
Appréhender de manière plus complète et plus complexe les divers substrats cérébraux à l’œuvre dans la dépression permettrait d'en améliorer la compréhension et, de fait, développer de meilleurs traitements, sachant qu'entre 20 et 30% des malades "résistent" actuellement aux antidépresseurs.
Pour comprendre la complexité de la dépression, un facteur semble particulièrement saillant : le sexe.
Ainsi, les femmes sont trois à quatre fois plus nombreuses que les hommes à tenter de se suicider, et les hommes quatre fois plus nombreux que les femmes à mourir par suicide.
Pour autant, s'il est désormais acquis que le risque dépressif est deux fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes, que ce soit en termes de prévalence, d'incidence et de morbidité, certains mécanismes de ce dimorphisme sexuel patent restent encore à élucider.
Si le rôle des facteurs hormonaux est aujourd'hui évident – les risques dépressifs des femmes sont d'autant plus élevés aux périodes de leurs vies où les fluctuations hormonales sont les plus violentes – d'autres éléments sont aussi à prendre en compte.
C'est le cas par exemple des mécanismes inflammatoires, de facteurs socio-démographiques et de prédispositions génétiques, elles aussi plurifactorielles.
Le cancer augmente de 40% le risque dépressif
Par ailleurs, plusieurs maladies augmentent le risque dépressif et ne le font pas de la même manière selon le sexe.
La dépression associée à l'épilepsie (qui peut augmenter les risques suicidaires jusqu'à 25%) est ainsi plus courante chez les hommes que chez les femmes, contrairement à la dépression associée à la maladie d'Alzheimer. Une maladie qui, en moyenne, s'accompagne de dépression dans 35% à 50% des cas.
Dans le cas du cancer, la chose se complique davantage : les hommes ont ainsi plus de risques d'être dépressifs en souffrant d'un cancer du foie et du poumon, mais les femmes les dépassent quand la dépression est associée à un cancer de la thyroïde – et le cancer du sein est l'un des cancers les plus "dépressogènes" de tous, tous sexes confondus.
Globalement, le cancer augmente de 40% le risque dépressif. Concernant les maladies cardiovasculaires, le dimorphisme évolue avec l'âge. Les hommes ont davantage de risques de souffrir d'une dépression associée à une maladie du cœur avant 45 ans, et les femmes après.
La responsabilité du glutamate
Publiée voici quelques jours, une étude vient d'ajouter une nouvelle clé de compréhension aux différences sexuelles observées dans la dépression. En l'occurrence, il s'agit d'une piste cérébrale : les femmes auraient un niveau d'expression – bien plus élevé que les hommes – de gènes impliqués dans le système glutamatergique.
Le glutamate est l'un des principaux neurotransmetteurs excitateurs du cerveau – il déclenche des influx nerveux dans les neurones, contrairement aux neurotransmetteurs inhibiteurs, qui les "éteignent" – et des anomalies du système glutamatergique ont d'ores et déjà été associées à de nombreux troubles psychiatriques, comme la maladie d'Alzheimer, la schizophrénie, l'épilepsie ou encore l'autisme.
Aujourd'hui, une équipe de neurologues, pharmacologues et psychiatres américains a eu l'idée d'analyser les liens entre glutamate et dépression, après que plusieurs études ont observé qu'à faible dose, la kétamine – qui modifie l'activité du système glutamatergique – semblait soigner (et rapidement) jusqu'à deux tiers des patients dépressifs indifférents aux antidépresseurs classiques agissant, eux, sur le système monoaminergique et la régulation de la dopamine, de la sérotonine ou encore de la noradrénaline.
De potentiels nouveaux traitements ?
Après le décorticage de plusieurs cerveaux appartenant de leur vivant à des patients dépressifs, pour certains morts par suicide, et à titre de référant, à des personnes sans aucun historique psychiatrique, les chercheurs ont observé que les dépressifs avaient un niveau d'expression génétique bien plus élevé du côté des récepteurs du glutamate, ou récepteurs NMDA.
En l'espèce, deux des trois gènes codant pour ces récepteurs étaient "surexprimés" chez les suicidés, et cette surexpression était d'autant plus significative chez les femmes.
"Nos données indiquent que les femmes souffrant de dépression majeure et ayant un risque suicidaire très élevé pourraient profiter au mieux de médicaments agissant sur le système glutamatergique, comme la kétamine", commente Monsheel Sodhi, co-auteure de l'étude.
De même, cette étude permet d'entrevoir de nouvelles cibles pharmacologiques pour le traitement de la dépression et d'identifier de nouveaux marqueurs biochimiques susceptibles d'évaluer le risque suicidaire de tout un chacun.
Autant d'avancées qui n'auraient tout simplement pas été possibles tant qu'on considérait que le cerveau des femmes et des hommes fonctionnait de manière identique.