lundi 12 août 2013

LIBAN : DEBAT PRESSE : Le suicide, un sujet finalement plus si tabou...

Le suicide, un sujet finalement plus si tabou...
 

Selon l’OMS, un suicide est enregistré dans le monde toutes les 40 secondes...
La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux et a été diffusée à la une des journaux télévisés comme un vulgaire fait divers. Le suicide d’Amina Samih Ismaël, filmé par son époux Samah Ahmad, a choqué, indigné et soulevé de nombreuses interrogations.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ils sont plus d’un million à mettre fin à leurs jours dans le monde chaque année, soit un suicide toutes les 40 secondes. Un chiffre en progression constante.
« Environ 5 % des personnes dans le monde font une tentative de suicide au moins une fois dans leur vie. La majorité des personnes qui passent à l’acte n’ont pas vraiment le désir de mourir. Elles veulent surtout mettre fin à une douleur intolérable, insupportable, et cela après avoir tenté de plusieurs façons, sans succès, de trouver une solution à leurs problèmes », affirme Amine Mallat, psychothérapeute cognitivo-comportementaliste.
Le suicide peut survenir dans le cadre d’une psychopathologie (ou maladie mentale), être dû à une grande souffrance physique ou être lié à des conditions environnementales (exemple dettes), en prenant toutefois en considération comment chaque individu perçoit ses problèmes, sa capacité à les résoudre et son réseau de soutien social.
« Dans le cas d’Amina, il semble, de son élocution monotone, monocorde et désaffectée, de son regard vide et de son calme olympien que la jeune femme souffre d’une profonde dépression. De telles dépressions entrent dans le cadre des maladies graves de l’humeur qui peuvent mener graduellement la personne à sombrer dans une perception noire de soi-même, de son entourage et de la vie », souligne M. Mallat, spécialiste des troubles anxio-dépressifs, traumatismes et addictions. Il n’écarte pas la possibilité de précédentes tentatives de suicide de la part d’Amina.
Il ne faut ainsi jamais minimiser les intentions de suicide d’une personne. Certes, toutes celles qui parlent de suicide ne vont pas passer à l’acte. En revanche, celles qui disent « j’ai envie d’en finir, je n’en peux plus... » ont une grande souffrance en elles. « Il peut s’agir d’un appel au secours. C’est une façon de dire aux autres que ça ne va pas, et non une manière de se faire mousser », selon le spécialiste. Si le suicide d’Amina, qui s’est jetée du huitième étage de son appartement à Ramlet el-Baïda, peut être interprété comme un geste de désespoir, le comportement de son mari, qui a intégralement filmé la scène, a suscité de nombreuses interrogations sur sa responsabilité dans le drame.

Dopamine
On entend clairement dans la vidéo le mari supplier sa femme de ne pas sauter en lui disant : « Même si nous avons nos problèmes, pense à ta mère, ne lui fais pas ce chagrin. » Mais Amina saute quand même. Elle disparaît lentement du cadre de la caméra alors qu’on entend les hurlements de son mari.
Pour Amine Mallat, plusieurs hypothèses peuvent expliquer l’attitude de Samah. Il pouvait soit être en train de filmer l’appartement lorsqu’il est pris d’effroi en voyant sa femme au bord du balcon sans rampe, d’où l’oubli d’éteindre la caméra, soit il s’agit d’une énième tentative de suicide d’Amina, et la vidéo peut alors constituer un élément de preuve de son innocence. Le psychothérapeute privilégie la première hypothèse qui est, selon lui, étayée par la voix de Samah, « une voix d’homme terrifié, presque agonisant, qui supplie sa femme de revenir sur sa décision. Le mouvement de la caméra trahit l’attitude d’un mari traumatisé par le spectre de la mort ».
Interrogé sur l’attitude des médias qui se sont empressés de diffuser la vidéo notamment au mépris du respect de la vie privée, M. Mallat évoque sans détour l’« appât du gain ».
« Les médias sont dans l’hyperréalité, la mort n’est plus sacralisée mais utilisée comme un outil pour augmenter l’audimat. On est désormais à la recherche de sensations fortes, et cela s’inscrit dans l’évolution de l’être humain. Les réseaux sociaux y sont pour beaucoup », dit-il.
« La recherche de sensation stimule les rouages dopaminergiques du cerveau (la dopamine est la molécule du plaisir logée dans le cerveau) et peut, si elle est sollicitée d’une manière abondante, devenir un comportement addictif », souligne le psychothérapeute.