vendredi 22 février 2013

APPROCHE COMPARÉE DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX AU TRAVAIL

APPROCHE COMPARÉE DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX AU TRAVAIL
DÉMARCHE FRANÇAISE ET SYSTÈMES ÉTRANGERS (EUROPE DU SUD ET DU NORD, QUÉBEC, JAPON)
lors du Colloque COMPARISK 2013 qui a eu lieu du 15 au 17 janvier 2013

http://www.travailler-mieux.gouv.fr/IMG/pdf/Livret_COMPARISK2013.pdf

Résumés des interventions

. Céline Célérier, Centre d’études de l’emploi, « La santé mentale troublée des agriculteurs », France
. Gaëlle Encrenaz  COMPTRASEC UMR CNRS 5114 Université Montesquieu-Bordeaux IV Passage à la retraite et risque de suicide dans la cohorte GAZEL
. Ana Ribeiro Costa, avocate, doctorante à l’Université catholique du Portugal, Faculté de droit de Porto, « Worker’s Suicide: the protection under the scheme of professional contingencies on the Portuguese legal framework », Portugal
. Chloé Sablayrolles, Doctorante, Université Toulouse 1 Capitole, « De la reconnaissance juridique à la prévention pratique des suicides en lien avec le travail », France




La santé mentale troublée des agriculteurs
Sylvie Célérier
Sociologue du travail
Centre d’études de l’emploi (CEE)

La forte prévalence des suicides dans la population des agriculteurs est observée dans de nombreux pays occidentaux et certains des pays dits émergents (Inde par exemple). Elle est aujourd’hui bien documentée par la littérature internationale, notamment épidémiologique. Du point de vue des liens possibles entre suicides et travail, le groupe des agriculteurs présente plusieurs spécificités dont la communication propose de rendre compte. C’est d’abord un phénomène ancien pour ce groupe que les historiens articulent à la conversion à marche forcée vers l’industrie que l’État français a amorcée à l’issue de la Première Guerre mondiale et accélérée après la Seconde. Le phénomène s’associe par ailleurs à une prévalence, également très élevée, de divers troubles mentaux dont témoignent régulièrement les enquêtes santé nationales et qui a incité la Mutualité sociale des agriculteurs (MSA) à en faire le thème de son dernier colloque médical. Enfin, ces phénomènes – suicides et déclarations de troubles mentaux – se présentent sous des formes très différentes selon le sexe considéré et le statut d’emploi signalant, pour ce second trait, l’importance de la nature des droits de santé qui s’attachent aux emplois.
La communication propose donc de rendre compte – synthétiquement, mais précisément – de ces différents aspects à partir de deux ressources : d’une part, les données statistiques récentes d’enquêtes sur la santé (Handicap santé Ménages, 2008 notamment), sur la santé articulée à l’itinéraire professionnel (SIP, 2006 et 2010) et sur l’exposition aux risques psychosociaux (SUMER, 2009) ; d’autre part, la littérature nationale et internationale, en précisant ce que les chercheurs mobilisent pour tenter de comprendre les phénomènes et les points de discussion qui les opposent.
Partant de ce bilan, il sera possible d’identifier des dimensions qui, bien que liées à l’agriculture proprement dite, pourraient se révéler pertinentes pour d’autres situations de santé, d’autres groupes professionnels et, plus largement, pour la compréhension des liens entre santé mentale et travail. On pourra notamment explorer les frontières de la notion de risques psychosociaux : ce qu’elle considère et ce qu’elle ignore. Façon de réfléchir aussi sur ce que recouvre la santé mentale quand elle est interrogée à partir du travail.


Passage à la retraite et risque de suicide dans la cohorte GAZEL
Gaëlle Encrenaz
Chercheure contractuelle, COMPTRASEC UMR CNRS 5114
Université Montesquieu-Bordeaux IV
Emmanuelle Ripoche, Boris Schwartz, Benjamin Contrand, Marie Zins, Cedric Lemogne, Herman Nabi, Silla Consoli, Marcel Goldberg, Emmanuel Lagarde

Introduction. L’éventuelle modification du risque de suicide après le passage à la retraite est mal connue dans la littérature scientifique. D’une part, nous pouvons faire l’hypothèse que ce risque devrait être augmenté, car la retraite marque une rupture avec la vie professionnelle et l’intégration sociale qui y est associée. A l’inverse, nous pouvons supposer que ce risque devrait diminuer, car le passage à la retraite marque la disparition de facteurs de risque de suicide, tels que les facteurs de risques psychosociaux.
Objectif. Analyser l’effet du passage à la retraite sur le risque de suicide, à partir des données de la cohorte GAZEL.
Population et méthodes. La cohorte GAZEL est une cohorte prospective de 20.625 agents d’Electricité et Gaz de France (EDF-GDF). Les participants ont été inclus en 1989 alors qu’ils étaient âgés entre 35 et 50 ans et sont toujours suivis depuis cette date. Les données sont recueillies annuellement grâce à un auto-questionnaire et à des informations obtenues auprès des services de gestion de personnel. Les causes de décès sont transmises par le CépiDC. Le risque de suicide a été analysé en utilisant un modèle de survie avec des variables explicatives dépendantes du temps (comme la retraite, la déprime ressentie, les troubles du sommeil, le nombre d’enfants, la situation maritale, la CSP, les évènements de vie, l’intégration sociale, les consommations de tabac) et d’autres variables mesurées lors de l’inclusion (le sexe, l’âge, les consommations de thé et de café et le niveau d’étude).
Résultats. Entre 1989 et 2007, 67 décès par suicide ont été enregistrés (6,4 % de l’ensemble des décès). Après ajustement sur les variables confondantes, le passage à la retraite était associé à une diminution du risque de suicide : RR=0,5 au cours des cinq premières années suivant la retraite et RR = 0,2 pour les années suivantes.
Discussion. Dans la cohorte GAZEL, la retraite est associée à une diminution du risque de suicide. Ces résultats peuvent s’expliquer par la rupture avec la vie professionnelle et ses contraintes et la pratique d’activités de loisir ou choisies, mais aussi par le régime de retraite spécifique dont bénéficient les agents EDF-GDF. La généralisabilité de ces résultats devrait être testée dans d’autres contextes professionnels et dans d’autres pays.

Worker’s Suicide: the protection under the scheme of professional contingencies on the
Portuguese legal framework
Ana Costa Ribeiro
Avocate et doctorante à l’Université catholique du Portugal,
Faculté de droit de Porto

What we intend to analyze in this communication is the protection of the workers or their beneficiaries in case of a worker’s suicide or attempted suicide caused by work related reasons, within the Portuguese legal framework. We will try to assess the possibility of considering the injuries or death that results from the referred conduct of the worker under the schemes of professional contingencies. At first, we will compare the differences between the regime of civil liability and the regime of liability for occupational contingencies. Then, we will evaluate the benefits of the system of reimbursement for professional contingencies in comparison to compensation for damage under the social security welfare scheme.
Anyway, we will analyze the suicidal act generally, as an event that may be qualified as a contingency at work and, in particular, the situations on which the event suicide occurs at the site and working time, which will have a different treatment from that which occurs outside of such circumstances, as the case law has been admitting that, in the first case, there is a presumption of a causal link to the labor activity.
We will also refer, in particular, to those cases where the actual suicidal behavior arises as a result of a previous professional contingency. We will focus on the concept of “workplace accident”, and the possibility of its withdrawal due to the existence of an intentional behavior of the worker. At this point, will refer to the studies that have been concluded on this matter by other sciences and the different theories that have arisen regarding the alleged intentionality of the suicidal act. We will conclude with a reference to Portuguese case law, which hasn’t yet accepted the absence of intention on the suicide.
Subsequently, we will examine the nature of the causal link between work and suicide. In fact, in our opinion, the link between the damage to the worker’s health or the worker’s death and the professional activity carried out, is established simply by the worker's availability or readiness for work, regardless of the conditions of its practice and not necessarily in the context of an activity exempt from any risk. Therefore, if the fact that the worker was providing such activity was crucial to the decision to commit such an act, this will suffice to establish a causal link. Finally, we will conclude that only those situations of manifest occurrence of a workplace accident objectively justify compensation under the schemes mentioned. We recognize, however, the practical difficulty of such qualification, which will lead, ultimately, to the express exclusion of the compensation for injuries or death resulting from a suicide event of the scope of the risk insured by insurance companies, problem which is specific of the Portuguese legal framework, as our jurisdiction is the only one in Europe that still relies on a private insurance system for the compensation of labor contingencies.

De la reconnaissance juridique à la prévention pratique des suicides en lien avec le travail
Chloé Sablayrolles
Doctorante contractuelle
Université Toulouse 1 Capitole

Les suicides en lien avec le travail, auparavant confinés au sein de l’entreprise, font depuis quelques années l’objet d’un nouveau traitement médiatique sortant ainsi de leur statut de sujet tabou. De tels actes, dont le nombre a augmenté ces dernières années, interpellent nécessairement sur leurs causes. La conduite suicidaire, expliquée pendant longtemps par la vulnérabilité psychique de l’individu, apparait finalement comme un processus éminemment polyfactoriel lié à une imbrication étroite des sphères privée et professionnelle rendant complexe l’étiologie du geste et l’appréciation du lien avec le travail.
La reconnaissance du suicide, généralement au titre d’accident du travail, va alors faire l’objet d’une évolution prétorienne majeure. Les décisions concernant les suicides de salariés alors qu’ils ne sont plus sous la subordination de l’employeur sont symptomatiques de ce mouvement en faveur de leur reconnaissance juridique. Ainsi, le suicide peut-il constituer un accident du travail dès lors que la preuve est rapportée qu’il est survenu « par le fait du travail » après l’examen par les juges des conditions réelles de l’activité du salarié. En outre, alors qu’avant le « fait accidentel » à l’origine de l’acte devait être clairement identifié, le suicide peut désormais être imputable à toute une série de faits, qui s’inscrivent dans la durée, caractéristiques des dérives de certaines organisations du travail aujourd’hui, génératrices de risques beaucoup moins tangibles.
Le travail audacieux des juges a également permis une amélioration de la prise en charge du suicide par le biais de la faute inexcusable dont la reconnaissance souligne aussi la responsabilité de l’employeur, lequel devrait alors être incité à prévenir en amont ce risque grave. Dans ce sens, une faute inexcusable de l’employeur a pu être reconnue en dehors de tout acte de harcèlement moral. Mettant en exergue le problème collectif d’organisation du travail, les juges se sont attachés à l’état psychologique de la victime et aux signes extérieurs le révélant pour affirmer que l’employeur « avait nécessairement conscience du danger » avant de constater les insuffisances en termes de prévention notamment l’absence du système d’évaluation des risques et du contrôle de la charge de travail pour conclure que l’employeur « n’a pas pris les mesures pour l’en préserver ».
La nécessité d’une approche globale dans l’évocation des causes du suicide conduit également à ouvrir le prisme de l’analyse en matière de prévention. Outre des mesures curatives individuelles, d’autres doivent être collectives et interroger le travail lui-même. Dès lors que l’organisation du travail et les conditions de celui-ci peuvent être à la source de risques pour la santé mentale des salariés conduisant parfois à des actes extrêmes, c’est sur ce thème que doit d’emblée porter la réflexion. Il convient ainsi de partir de situations concrètes au plus près de l’activité afin d’identifier le risque et de mettre en place un plan d’action collectif adapté. La logique de prévention primaire devient alors le pivot incontournable d’une véritable politique de santé dans l’entreprise qui ne peut être effective sans l’action complémentaire de l’ensemble des acteurs.